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lui était pas moins odieuse que la valeur guerrière. Cecil eut peu de peine à ruiner d’avance un favori dont les qualités et les vices étaient antipathiques au monarque nouveau. Du règne de Jacques Ier date la disgrace de Raleigh, de cette disgrace son complot, et de ce complot sa perte, mais aussi sa gloire, le déploiement libre de son talent dans une prison d’état et la grandeur héroïque de sa mort.

Avant de toucher à cet échafaud sublime, nous avons à traverser cent mensonges et cent bassesses. Dans cette vie, comme sur un manteau de mauvais théâtre, il n’y a que de l’or et des taches. Avant même que Jacques Ier soit arrivé d’Écosse, on trouve le prévoyant Raleigh à la tête des opposans. Aubery, chroniqueur contemporain, fort crédule, il est vrai, le montre, au milieu d’une assemblée des seigneurs réunis à Whitehall, attaquant non-seulement Jacques Ier, mais le trône même : « Gardons pour nous le sceptre, et ne laissons pas une nation de mendians affamés (les Écossais) dominer l’Angleterre. » Telles sont les paroles qu’Aubery lui attribue ; — il ajoute que l’intention de Raleigh était de profiter de la circonstance et de fonder une république ; to set up a commonwealth. On a vu jusqu’où pouvait aller la chimérique hardiesse de Walter Raleigh et la témérité de ses plans ; au moment où le fils de la catholique Marie Stuart, détesté comme Écossais, méprisé comme homme, allait s’emparer du diadème, une telle idée pouvait bien venir au chercheur de l’Eldorado. Mais si l’on repousse, avec l’écrivain d’Édimbourg, ce fait, allégué par Aubery, le témoignage de tous les historiens est là pour attester que Raleigh, d’accord avec beaucoup de seigneurs et de citoyens, voulait opposer dès-lors une barrière à ce que l’on appelait l’envahissement des Écossais. Sully, qui le voyait beaucoup à Londres, le place au premier rang des mécontens prêts à conspirer contre un monarque qu’ils dédaignaient plus encore qu’ils ne le redoutaient. Dans ce moment même, Walter Raleigh prodiguait au roi pédant les mêmes flatteries qu’il avait administrées à la reine Élisabeth, et qui l’avaient toujours soutenu contre l’animadversion générale. Peu de temps après l’arrivée de Jacques, il lui écrit : « Combien je désirais voir enfin votre majesté ! sachant qu’il y a toujours quelque chose de bon à apprendre d’elle, et avide d’augmenter et d’améliorer mes connaissances par votre discours ! » Malgré cette adulation qui avait changé de note et qui s’adressait, non plus à la beauté d’une femme décrépite, mais à la faiblesse spéciale du monarque, un des premiers actes de Jacques fut de destituer Raleigh. Le capitaine des gardes céda sa place à un Écossais. Raleigh protesta inutilement, dans un mémoire