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quatre, eut lieu en France. C’était un pandémonium quand il y vint.

Quel pays ! Un poète de son temps l’a dit avant moi, non pas un des poètes pédantesques, gens qui ne reproduisent que les émotions gréco-latines de la rue du Fouarre et de Montaigu ; mais un de ces poètes bien plus précieux, qui disent en vers ce que leur siècle a senti. Il montre, dans une de ses pièces, le diable demandant à Dieu permission de venir brouiller la France, et d’y lâcher son escadron de démons secondaires. Voilà ce que Raleigh y vit, lorsqu’à vingt ans, soldat de fortune, il quitta le promontoire battu des flots marins qu’habitait sa famille, et vint guerroyer en France et en Flandre pour les protestans. Il était né en 1552, à Hayes, en face de l’Océan.

Les étendards de Coligny, de Henri IV et de Nassau flottèrent sur cette jeune tête. Il se mêla en aventurier à tous les aventuriers gascons, si fiers, si braves, si hardis, si spirituels, dont Henri de Navarre résuma les meilleures qualités, laissant de côté les plus mauvaises. Un caractère de gasconnade aventureuse, transporté sur le sol demi saxon, demi-normand de la nationalité anglaise, fit de lui désormais un être douteux et redoutable, objet d’étonnement et d’antipathie pour ses concitoyens.

Élevé à cette école, il adora le succès, et apprit à l’enlever violemment plutôt qu’à le mériter. Souvent il joignit le charlatanisme à la gloire. Ce qui était saillie légère et caprice facétieux chez nos braves enfans du Midi, devint un grave calcul chez le fils des Saxons. Ces vives et pétulantes boutades qui étincèlent dans la causerie, qui donnent tant de relief à la guerre et à l’amour, et qui, dans la mêlée sanglante, apparaissent comme les lueurs des glaives qui se heurtent, ont besoin, pour être aimées ou pardonnées, d’une légèreté presque enfantine et d’une grace insouciante. Raleigh prit au sérieux l’humeur gasconne ; il en fit le poème épique de sa vie. Dans les grandes entreprises, dans les sombres conjurations, dans les longues traversées et les colonisations périlleuses, il fut Mascarille ou Scapin. Bariolant de traits sublimes ce charlatanisme gigantesque, nul homme (quoi qu’en ait dit la Revue d’Édimbourg) n’a mieux menti, n’a plus souvent, n’a plus témérairement menti.

La France offrait alors une mauvaise discipline et un fatal exemple. Trois grandes qualités lui restaient, l’audace, le courage et l’adresse. Mais, du reste, jamais esprits infernaux ne se sont déchaînés avec plus de folie, et n’ont mêlé plus de sang à plus de débauche. Le