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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE EN ITALIE.

un peu bourgeoise et par trop débonnaire ? Le Vulcain, est plus énergique : c’est une statue sentie, et cependant l’artiste a peut-être été encore trop préoccupé de la grace ; à force de caresser son marbre et d’en abattre les angles, il a enlevé à son œuvre quelque chose de cette rudesse qui convient au dieu boiteux des forgerons. En revanche, sa grande Descente de Croix est un morceau de premier ordre et le plus énergique peut-être qui soit sorti de son atelier. On dirait un groupe de Jean de Bologne, mais étudié, sévère et touchant.

Cette horreur que l’école de Canova, et en général l’école moderne, montre pour les angles, part d’un principe raisonnable ; mais, poussée à l’extrême, elle conduit aux formes rondes, gracieusement affectées, et à la mollesse.

Canova a été un statuaire du premier ordre, arrivant surtout à la suite de la détestable école du Bernin. Sa Vénus du palais Pitti, son Persée, ses Lutteurs et son Lychas sont d’admirables morceaux. L’idée du Lychas est ingénieuse : le malheureux envoyé de Déjanire s’attache au marbre de l’autel, mais il est dans les bras d’Hercule, et ces bras offrent un si prodigieux développement de vigueur, et l’infortuné qu’ils étreignent est d’une beauté si frêle, qu’on le voit déjà tourbillonner sur l’abîme. Thésée vainqueur du centaure est le chef-d’œuvre du statuaire vénitien[1]. Ce chef-d’œuvre n’est cependant pas complet. La figure du Thésée manque de puissance et d’énergie ; on a peine à comprendre que ce combattant vulgaire triomphe d’un si terrible adversaire. En revanche, le centaure est superbe. Il est à demi renversé, son ventre touche la terre, sa tête tombe en arrière, ses pieds s’agitent convulsivement, et le poison de la douleur court dans chacun des muscles et dans chacun des nerfs de sa croupe frémissante. C’est le centaure vaincu d’André Chénier :

L’insolent quadrupède en vain s’écrie, il tombe,
Et son pied bat le sol qui doit être sa tombe.

On assure que Canova, voulant exprimer toutes les nuances et les dégradations de l’agonie et prendre sur le fait ce passage de la vie à la mort, fit expirer lentement sous ses yeux un beau cheval. La perfection de cette magnifique et singulière statue rend cette anecdote

    une bien triste idée du reste. La statue de saint Augustin tenant en main son traité de la Cité de Dieu et disputant contre les donatistes, de M. Tommaso Arnaud fait seule exception.

  1. Ce groupe est placé aujourd’hui dans le Jardin du Peuple, à Vienne.