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beau dont le bas-relief nous a paru compliqué et peu frappant. Cependant la tête de l’enfant souffrant, aux lèvres duquel une femme présentait une coupe, sans doute la coupe de la santé, est à elle seule un petit chef-d’œuvre. Bartolini excelle dans ces détails expressifs. Son exécution est puissante, sa pensée énergique, et cependant nous ne voyons pas qu’il ait rien produit d’un style bien relevé.

La statue colossale de Napoléon pourrait faire exception parmi les œuvres de l’artiste ; mais ce n’est là qu’un projet : Bartolini attendait la décision des autorités de la ville d’Ajaccio pour savoir s’il le mettrait à exécution. Si cette décision est favorable, qu’il n’oublie pas d’étudier d’une manière plus sévère les draperies et de dégrossir les extrémités inférieures de cette statue, beaucoup trop carrée par la base, pour nous servir de l’une des expressions favorites du héros.

Le style de Bartolini est à la fois gracieux et sévère, mais peut-être un peu lourd. L’artiste a trop souvent oublié cette belle loi des deux forces que les grands sculpteurs grecs ont si heureusement appliquée à l’ensemble du corps humain et à chacune de ses parties : la loi de la force active, en vertu de laquelle ces parties agissent et se meuvent, et la loi de solidité, qu’aujourd’hui nous appellerions de gravité, en vertu de laquelle ces parties posent et sont soutenues. La première de ces lois conduit à l’élégance et à la légèreté, la seconde à la force et à la grandeur. Bartolini, quoique cherchant la grace, ne semble guère préoccupé que de la loi de solidité ; il l’exagère trop souvent et arrive à la lourdeur, comme dans son Napoléon, dans sa Junon et même dans son Jeune vendangeur dont les jambes paraissent trop fortes, et dont l’attitude n’a pas cette légèreté pétulante et joyeuse qui accompagne le commencement de l’ivresse. Plusieurs de ses bustes nous ont aussi paru taillés trop en force ; celui de la princesse Mathilde, fille du roi Jérôme, par exemple. L’ampleur et la liberté du travail nuisent à la parfaite correction des formes un peu vulgarisées, et qui ne rappellent que d’une manière fort éloignée la gracieuse élégance du modèle. L’Espérance en Dieu est peut-être la seule statue de Bartolini qui nous paraisse irréprochable ; néanmoins ce n’est pas encore là du grand style[1].

On a dit que les artistes se peignaient dans leurs ouvrages ; appliquée à Bartolini, cette remarque ne manquerait pas de justesse.

  1. La réduction du tombeau de M. N. de Demidoff, que Bartolini a envoyée cette année à l’exposition du Louvre, est un ouvrage d’une exécution précieuse, mais qui ne donne qu’une idée fort imparfaite du talent et de la manière du statuaire florentin.