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perte de leur liberté. — Si nous n’avons plus de grands peintres, disent tristement quelques amateurs fatalistes, c’est que ce n’est plus la saison. — Ce mot résume tout, et en le prononçant, on voit qu’ils comptent sur l’avenir, et qu’ils espèrent que la saison reviendra.

Les artistes qu’un amour-propre ridicule n’aveugle pas, et qui, pour avoir couvert quelques pieds carrés de toile, ne se croient pas des Michel-Ange ou des Raphaël, sont presque tous du même avis ; ils avouent franchement leur infériorité, et ils l’attribuent tout naturellement au manque d’emploi de leur talent. — On n’aime plus la peinture, disent-ils ; faut-il faire tant d’efforts pour contenter des indifférens ? — La désespérante supériorité de ceux qui les ont précédés dans la carrière, la comparaison écrasante des chefs-d’œuvre consacrés qui remplissent leurs galeries, les jettent aussi dans une sorte de découragement atonique qui tend encore à accroître cette paresse naturelle aux peuples méridionaux. L’entraînement du climat, la trop grande facilité de la vie, qui ne leur permet pas de connaître le prix du temps, le manque absolu d’émulation, le défaut d’amour pour leur art, qui pour eux n’est plus qu’un misérable gagne-pain, condamnent bientôt à la médiocrité ceux qu’un premier succès, un accident heureux avait un moment fait sortir de ligne ; ils songent moins à se satisfaire qu’à plaire à la foule, dont ils étudient les caprices et les grossiers instincts. Si chaque jour l’art de la peinture dégénère et se corrompt, si l’indifférence des gens riches et puissans, si le mépris des gens de goût ont pris la place des encouragemens et des éloges d’autrefois, les artistes doivent s’en prendre plutôt à eux-mêmes qu’au système de gouvernement et au plus ou moins de libéralité et de goût de leurs patrons. Leur art, qu’ils n’aiment pas, les trahit ; le public, qu’ils méprisent, les abandonne.

Ce qui vient à l’appui de ces considérations, c’est que l’Italie, qui n’a plus de peintres, a encore des architectes et des statuaires ; ceux-ci ont pris leur art au sérieux et l’ont aimé avec passion ; l’art a répondu à leurs avances et leur a été fidèle. Ces architectes et ces statuaires sont de beaucoup supérieurs aux peintres, et parmi les statuaires il est des hommes d’un rare talent, nous dirions presque des hommes de génie.

Si nous nous occupons d’abord des architectes, nous conviendrons que les hommes qui ont bâti les théâtres de Gênes et de Naples, qui ont achevé le dôme de Milan, restauré la cathédrale de Pise, et qui à Rome relèvent de ses ruines l’église de Saint-Paul-hors-des-Murs, satisfont à certaines conditions de l’art. Ils ne manquent ni de fécon-