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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE EN ITALIE.

un grand décorateur qu’un véritable peintre d’histoire. Bologne a de plus un grand nombre d’ouvriers de talent, car nous ne pouvons pas donner le nom d’artistes à ces peintres que M. Guizardi, l’étonnant pasticheur, a enrôlés sous sa bannière. L’art, pour eux, n’est pas même une honnête industrie ; c’est un métier de faussaire, où le plus habile est celui qui trompe le mieux. Non contens de pasticher les vieux maîtres, ils copient littéralement leurs compositions ignorées sur des toiles en lambeaux ou des panneaux vermoulus ; puis, quand ils ont soigneusement sali leur ouvrage, ils profitent de l’ignorance des connaisseurs de passage, russes ou anglais, pour vendre ces copies comme de précieux originaux. Beaucoup de ces étrangers sont dupes, mais beaucoup aussi ne sont trompés que parce qu’ils veulent bien l’être. N’est-ce pas une véritable bonne fortune que de pouvoir enrichir sa galerie de Saint-Pétersbourg ou de Londres de tableaux du Corrège, de Raphaël ou du Garofalo, qu’on a eus pour rien ?

À Florence, du moins, le culte de l’art est plus pur, et il n’y a de procès à faire qu’à la médiocrité des artistes. Benvenuti, le lourd et triste décorateur de la coupole de Médicis à San-Lorenzo, a été enseveli dans son triomphe ; il se repose sur ses lauriers et fait bien. Bezzuoli a d’abord timidement imité Gérard ; maintenant il cherche la manière précise, ornée, mais un peu vulgaire, de M. Delaroche, auquel il semble avoir dérobé ses derniers tableaux, mais surtout sa Mort de Strozzi. MM. Benvenuti et Bezzuoli sont tous deux à la mode depuis un quart de siècle ; leurs admirateurs et leurs élèves sont nombreux, mais l’espoir de la peinture n’est pas là, et si Florence est peut-être la seule ville de l’Italie où cet art semble appelé à de nouvelles destinées, ce sera moins à ces artistes qu’à cette jeune école de dessinateurs qui remontent sévèrement aux grands et éternels principes de l’art, et qui s’inspirent à la fois de Masaccio, de Fra Angelico et de la nature, qu’elle devra sa résurrection. L’amour de la nouveauté les ramène au simple et au vrai, et déjà, parmi ces jeunes gens, on compte de grands dessinateurs, en tête desquels nous placerons M. Carlo della Porta. Qu’ils deviennent aussi habiles coloristes qu’ils sont bons dessinateurs, et l’école florentine n’aura pas déchu.

Ces jeunes artistes, un peu intolérans comme la plupart des novateurs qui débutent, poussent sans doute le rigorisme trop loin. Il en est parmi eux qui regardent un voyage à Rome comme la plus périlleuse des épreuves, cette ville passant à Florence pour la corruptrice du goût. « Nous nous y perdrions, » disent-ils naïvement. Si le Bernin et son école, qui, dans le courant du dernier siècle, ont gâté la plu-