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L’EUROPE ET LA CHINE.

Nous donnons dans l’Algérie une preuve péremptoire de la nécessité absolue de fournir de l’aliment, tant bien que mal, au besoin d’action extérieure qui nous tourmente de même que les autres nations de l’Europe. On ne peut raisonnablement s’expliquer que par là notre persévérance à retenir Alger au prix de tant d’argent et de tant de sang. Ce serait la plus insigne des folies que d’avoir consacré à l’Algérie de pareilles sommes et un sang si précieux, s’il ne s’agissait que de nous approprier et de mettre en culture la lisière, de valeur assez douteuse, au dire de bons juges, qui est comprise entre le pied de l’Atlas et la mer. Nous avons dans notre Corse trop oubliée, dans les Landes, dans la Sologne, dans la presqu’île de la Camargue, et sur d’autres points de l’antique sol français, de vastes espaces qui, à dix fois moins de frais, eussent rendu des produits plus beaux que tout ce que paraît devoir de long-temps rapporter la ci-devant Régence. Comme affaire d’intérêt matériel, du point de vue du doit et avoir, notre entreprise au nord de l’Afrique est insoutenable. Considérée comme ayant pour but d’accorder une certaine satisfaction à un sentiment très vif dans le pays, celui de révéler extérieurement notre existence dans le monde, elle se conçoit, elle se motive, elle se justifie.

Le besoin d’action extérieure qui anime chacun des peuples de l’Europe s’est témoigné par de vastes entreprises lointaines : telle fut l’éruption des croisades qui dura deux siècles, tel a été l’envahissement de l’Amérique ; mais le plus souvent il s’est déployé dans des déchiremens européens. Aujourd’hui un heureux changement s’opère ; une révolution éminemment favorable à la paix intérieure est en train de s’accomplir dans la politique européenne. La communauté des idées et des sentimens, la solidarité des intérêts, la facilité croissante des relations d’un bout de l’Europe à l’autre, ont fait des nations qui l’habitent une grande famille. Peut-être serons-nous encore témoins, en Europe, de quelque choc affreux ; mais certainement, si la guerre éclatait, elle serait de très courte durée. Elle pourrait être sanglante, grave dans ses conséquences ; mais elle passerait avec rapidité. Les rapports des gouvernemens entre eux laissent beaucoup à désirer encore ; ils ne sont pas en harmonie avec les instincts des populations à beaucoup près, mais ils y seront bientôt, parce que la réaction des gouvernans sur les gouvernés, cette véritable souveraineté populaire, n’a jamais été aussi puissante. Après le maintien de la paix, en 1830, qui pourrait douter de la prépondérance des intérêts pacifiques dans la politique européenne ?