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délai le repos dont il se proposait de jouir au terme de ses conquêtes, le roi trouva, j’en suis convaincu, que son conseiller s’exprimait en homme du plus grand sens ; mais il le laissa dire et fit comme devant. L’Europe est moins inaccessible aux sages avis. Elle réalisera donc chez elle plusieurs des améliorations qui lui seront recommandées, lorsque la convenance et l’efficacité lui en auront été prouvées ; mais elle ne saurait consentir à s’enclore dans son territoire. Nous ne sommes pas gens à bâtir autour de nous des murailles de la Chine ; loin de là, nous ne voulons pas permettre que les autres en bâtissent, et nous prétendons démolir celles qu’ils auraient érigées. Se mêler des affaires d’autrui, intervenir chez le prochain, régenter le monde par la parole et par la force, tantôt par des actes individuels, tantôt par des démonstrations des gouvernemens, ici par des négociations diplomatiques, ailleurs à coups de canon, c’est pour la nature européenne un besoin impérieux auquel elle n’est pas libre de ne pas céder, car les peuples comme les individus luttent en vain contre leur tempérament. Peut-être serions-nous plus heureux si nous étions autres : cela peut se soutenir par de bonnes raisons. L’homme qui sait le mieux se contenir est aussi celui qui sait le mieux se contenter. Celui dont les pensées et les désirs ne connaissent pas de limites a aussi des passions sans frein ; il est livré aux mêmes labeurs, aux mêmes soucis que le navigateur qui doit gouverner un frêle navire sur une mer où les courans se croisent impétueux, où les vents se heurtent avec violence. Mais telles sont les nations européennes, tels furent les peuples anciens dont nous dérivons et dont nous continuons la tâche sur la terre, tels nous devons être long-temps ; car, sans méconnaître la bonté suprême de la Providence, on peut penser que c’est son aiguillon qui nous pousse en avant, et qu’il ne cessera de nous mener haletans d’escalade en escalade, de précipice en précipice, de climats en climats, de continent en continent, que lorsque nous serons au bout de l’œuvre qui nous a été assignée, celle de dérouler et de sceller tout autour de la planète, à travers les plus formidables obstacles, les anneaux d’un cercle d’harmonie et de fraternité universelle, et de souder à jamais l’un à l’autre les deux extrêmes, l’alpha et l’oméga, l’Orient et l’Occident.

On ne décidera pas l’Européen à se clore dans le foyer domestique, ou même dans le foyer de la patrie. Il lui faut une vie publique autant qu’une vie privée ; il doit se sentir acteur, père noble, jeune premier, ou comparse, dans un drame, et il faut que dans ce drame soient en jeu les destinées de la patrie, du genre humain. Et