Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
REVUE DES DEUX MONDES.

la Conception, à l’île Fernandina et à Isabelle, tenant pour certain qu’il était dans l’archipel infini qu’on croyait exister en avant de la Chine, il entend parler d’une grande île : il ne doute pas que ce ne soit le Cipango de Marco Polo, et il fait voile pour s’y rendre, afin « de se diriger ensuite, dit-il dans son journal, vers la terre ferme et la ville de Guisay (Quinsaï ou Hangtcheoufou, que Marco Polo avait beaucoup vantée), et donner les lettres de vos altesses au grand Khan, lui demander réponse et la rapporter tout de suite. » Le Cipango, vers lequel il faisait voile, c’était l’île de Cuba, appelée Colba par les naturels. « À minuit, dit-il, je levai l’ancre pour chercher l’île de Cuba, où il y a de l’or, des épices et de grands navires propres à en être chargés. » En chemin, ayant stationné à un mouillage qu’il nomma le Puerto de San-Salvador (port de Nipe selon M. Navarrete), il s’imagine entendre de la bouche des indigènes que les vaisseaux du grand Khan venaient y commercer.

Quand il part pour son second voyage (en 1493), l’Espagne entière partage sa croyance. Des hidalgos de haut rang, de nobles cavaliers d’Andalousie, des officiers de la maison royale, briguent l’honneur d’un poste dans l’expédition. Ils se représentaient des îles étendues, produisant en quantité indéfinie des épices et des parfums, aux montagnes pleines de filons d’or, aux côtes semées de perles. Là ils devaient, après des prouesses dignes du siége de Grenade, planter l’étendard de la croix sur les murs d’opulentes cités qui deviendraient leurs fiefs. De là ils n’auraient plus qu’une traversée de quelques jours pour atteindre les provinces chinoises de Mangi et de Cathay, convertir ou soumettre le grand Khan, faire abondante provision de gloire et de richesses. Colomb, d’un enthousiasme moins intéressé et plus religieux, mais non moins exalté, songeait à la délivrance du saint sépulcre. Il promettait au roi et à la reine « d’entretenir, pour cette sainte entreprise (du produit de ses découvertes), pendant sept ans, cinquante mille fantassins et cinq mille cavaliers, et le même nombre pendant cinq autres années. » S’il s’occupe de l’or qu’on devait ramasser par boisseaux dans ces terres de promission, si dans une lettre à Isabelle il dit que l’or est une chose excellente (el oro es excelentissimo), c’est un peu parce qu’avec cet or on tire, dit-il, les ames du purgatoire ; c’est surtout parce que l’accomplissement de son projet politico-religieux d’affranchir la Terre-Sainte dépend des trésors qu’il rapportera.

Dans cette seconde expédition, l’aspect des lieux et des hommes ne détrompe ni l’amiral ni ses compagnons. Cette fois, ayant touché la côte allongée de Cuba en un point où elle se dirige à peu près du