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L’EUROPE ET LA CHINE.

son ame chrétienne, il ne s’agissait pas seulement d’une exploration géographique ou d’une tentative mercantile ; il s’était fait un programme de la plus magnifique grandeur, dont les amis de l’humanité et de la chrétienté devaient s’applaudir. Il allait « trouver le grand Khan, le roi des rois (l’empereur chinois qui descendait de Gengis-Khan), dont les peuples étaient plongés dans l’idolâtrie et dont les prédécesseurs avaient envoyé maintes fois à Rome pour demander des docteurs de notre sainte foi qui pussent les instruire des vérités de l’Évangile. » Il avait des lettres de leurs majestés catholiques pour le grand Khan. Il était chargé d’étudier le pays et les habitans, d’examiner la nature et le caractère de tous, ainsi que les moyens à prendre pour leur conversion. Enfin l’Inde, où tout était d’or et de diamans, devait fournir des ressources au trésor castillan, épuisé par la guerre, afin de délivrer Jérusalem et d’affranchir le tombeau du Christ de la domination des infidèles.

Dans la conviction profonde qu’il chemine vers l’Asie, une fois embarqué il compare ce qu’il observe aux renseignemens que lui a donnés son savant ami Toscanelli. Dans une conférence avec son lieutenant, Martin Alonzo Pinzon, commandant d’un de ses trois navires, la Pinta, qui le pressait d’obliquer vers le sud, Colomb persiste à aller droit à l’ouest par le motif qu’il convient « d’aller d’abord à la terre ferme d’Asie pour revenir ensuite vers les îles, parmi lesquelles se trouve Cipango. » À la distance de sept cent cinquante lieues des Canaries, il s’étonne cependant de ne pas avoir rencontré ce Cipango tant célébré, car ses calculs hypothétiques, auxquels il croyait d’une foi profonde, lui avaient dit qu’il le trouverait à cette distance. Supposant alors qu’il se sera trompé dans l’estimation quotidienne des latitudes, il fait à Pinzon la concession de dévier un peu vers le midi et de tourner le cap du navire à l’ouest sud-ouest. C’était le 7 octobre. Dans la soirée du 11, l’expédition aperçut l’île de Guanahani.

L’idée qu’il allait aux Indes par l’ouest n’a pas quitté Colomb quand la découverte a été accomplie. Les hommes qu’il rencontre, il les appelle des Indiens, et ce nom est resté aux indigènes du nouveau continent, tant dans l’Amérique anglaise que dans l’Amérique espagnole. Quand il s’approche de l’île Isabelle (aujourd’hui Exumeta), il croit remarquer dans l’air cette odeur d’épices qu’on disait s’exhaler des îles de la mer des Indes. L’esprit plein des termes de Marco Polo que lui a transmis Toscanelli, il cherche les villes et les provinces du voyageur vénitien. Après avoir touché successivement à Guanahani, à