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frappé de la tradition d’une expédition carthaginoise autour de la péninsule africaine, soutenait que la mer des Indes n’était pas close, qu’un navire pouvait tourner autour de l’Afrique depuis Gibraltar jusqu’à la mer Rouge, et par conséquent qu’il était possible à des marins de se rendre de Lisbonne au pays des épices, quelque terreur qu’inspirât alors le cap Non, situé à moins de cent cinquante lieues du détroit de Gibraltar, et que les plus habiles navigateurs considéraient comme l’extrémité du monde. Cette pensée du prince Henri, poursuivie par lui avec dévouement et intelligence, donna lieu après sa mort au voyage de Vasco de Gama, à la découverte du cap de Bonne Espérance, et au déploiement d’héroïsme dont le Portugal a conservé, comme un souvenir, Macao et Goa. Colomb, qui vécut long-temps en Portugal, savoura ce projet, puis, novateur audacieux, lui donna une autre forme. Malgré son profond respect pour l’autorité religieuse, il était convaincu de la rotondité de la terre. Il en concluait naturellement qu’on pouvait se rendre d’Europe au fond de l’Asie, en cheminant de l’est à l’ouest, aussi bien qu’en allant de l’ouest à l’est comme on l’avait fait jusqu’alors. Entre ces deux routes opposées conduisant au même but, de bienheureuses erreurs dont nous allons dire un mot, et qui étaient sanctionnées par la science la plus avancée de l’époque, le déterminaient à donner le choix à celle qui se dirige de l’est à l’ouest. C’était au surplus une idée exprimée autrefois, comme une possibilité seulement et non comme un conseil, par l’antique Ératosthène, et recueillie par Strabon. Il est même curieux que, dans cet exposé spéculatif, Ératosthène eût expressément désigné pour point de départ la péninsule ibérique.

Du cap Saint-Vincent, qui termine cette péninsule au sud-ouest et lui sert de tête de pont sur l’Océan, jusqu’aux côtes de la Chine, la distance, dans la direction de l’est à l’ouest, que préférait Colomb, est de 230° de longitude (le tour de la terre étant de 360°), c’est-à-dire des deux tiers de la circonférence. Par un remarquable hasard, le plus ancien des observateurs, Ératosthène, estimant juste à 10° près, avait évalué l’intervalle à 240°. Cette opinion avait été reproduite par le célèbre géographe d’Amasée, Strabon, dont Colomb connaissait quelques fragmens par intermédiaire, et qu’il appelait Extrabon. Mais plus tard, un autre géographe dont Colomb avait pareillement lu des extraits dans le traité du cardinal Pierre d’Ailly, Marin de Tyr, par d’assez mauvaises raisons, et dans l’ignorance des travaux des navigateurs phéniciens, diminua l’espace à franchir au travers de l’Atlantique ; il le réduisit, des îles Canaries à la Chine, à 135°. Il se