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L’EUROPE ET LA CHINE.

l’autre dans les archives espagnoles, ou se servant des nombreux documens publiés par deux savans historiens espagnols, MM. Navarrete et Muños, ont démontré que le but de l’amiral était d’atteindre, en cherchant le levant par le couchant (el levante por el poniente) les régions de l’Asie, fertiles en épiceries, riches en diamans et en métaux précieux.

Au XVe siècle, les intelligences étaient travaillées du besoin de se rapprocher de l’Asie. Les progrès du luxe et de la civilisation dans le midi de l’Europe y faisaient avidement rechercher les productions de l’Inde ; mais ces appétits de la bête, comme dit Xavier de Maistre, n’étaient, si vivaces qu’ils fussent, qu’au second rang parmi les causes qui poussaient les esprits vers le monde oriental. Dès le XIIIe siècle, les expéditions et les conquêtes des Mongols sous Gengis-Khan et ses fils, près desquelles celles d’Alexandre, le maître des conquérans occidentaux, sont des échauffourées, avaient attiré sur l’Orient extrême l’attention des chefs des peuples européens. Ces mêmes Mongols qui atteignaient la mer Jaune, à l’est de la Chine, étaient venus à l’ouest régner sur la mer Noire et sur la Baltique, et faire boire leurs chevaux au centre de l’Allemagne, jusque dans les fleuves de la Silésie. Le nom du grand Khan rendait soucieux les monarques de l’Europe, et leur supérieur, le souverain pontife. On lui avait adressé des ambassades, et il avait daigné en envoyer à son tour. Les savans grecs qui s’étaient enfuis de Constantinople après la destruction de l’empire bysantin, avaient semé en Europe des notions sur l’Asie, et avaient appris à la considérer comme une terre moins excentrique, plus prochaine. La religion conspirait avec la politique et le commerce pour nouer des rapports entre l’Orient et l’Occident. Des voyages provoqués ou encouragés par la ferveur catholique avaient étendu l’horizon géographique et inspiré le désir de l’agrandir encore. Les têtes avaient été échauffées par les récits de simples moines pleins de résolution, tels que Rubruquis, Plan Carpin, Simon de Saint-Quentin, Ascelin et Bartholomée de Florence, qui avaient déployé le courage et la persévérance justement admirés par l’Europe moderne dans Burnes, leur successeur, et la sagacité qu’un autre de leurs continuateurs, l’infortuné Jacquemont, alliait avec une philosophie si charmante et un esprit si fin. Les rapports de voyageurs laïcs, tels que Mandeville et surtout Marco Polo, redoublaient, au lieu de les satisfaire, la curiosité qui s’attachait au grand Orient et le besoin qu’on éprouvait de s’en rapprocher. Le prosélytisme, excité par les triomphes des Espagnols sur les Maures, ré-