Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
L’EUROPE ET LA CHINE.

par excellence, parce qu’il était le plus proche, le seul proche, et qu’il nous révélait son existence en luttant hardiment contre nous. Mais cette seconde civilisation, moins remuante, moins audacieuse que la nôtre, s’est arrêtée en Chine, et, après avoir envoyé une garde avancée au Japon, elle s’est fixée à demeure sur la terre ferme, craignant d’affronter la terrible mer. C’est à peine si, exaltés par le mysticisme religieux, quelques-uns de ses fils ont pu s’aventurer sur la surface redoutée de l’Océan, comme dans l’expédition qui, deux siècles avant notre ère, parcourut la mer de l’est « pour chercher un remède qui procure l’immortalité de l’ame. »

En même temps que, par un mouvement général et providentiel semblable aux révolutions planétaires, et dont elle ne se rendait pas compte, notre civilisation, ainsi entraînée de l’est à l’ouest, s’avançait, en faisant le tour du globe, vers sa sœur de l’Orient, elle la recherchait par une autre voie, sous l’influence d’un autre mobile essentiellement humain. Cédant à la soif des richesses et des conquêtes, aux instincts du sensualisme et de l’ambition, elle se retournait en arrière, dans sa marche régulière vers l’ouest, tantôt pour combattre, tantôt pour trafiquer. De là les Argonautes, non moins avides qu’ils ne furent vaillans ; de là les luttes de Troie et les campagnes d’Alexandre ; de là les croisades, de là les comptoirs des Lombards, des Génois, des Vénitiens ; de là les héroïques entreprises des Albuquerque et des Vasco de Gama ; de là les tentatives un moment heureuses des Français sous Louis XIV ; de là enfin la compagnie des Indes et l’empire des Anglais en Asie.

De tout temps les peuples de l’Europe ont été persuadés que l’Orient le plus reculé renfermait des richesses inouies. Toujours l’homme a supposé que les régions lointaines recélaient des merveilles et des trésors. Suivant les premiers poètes et les philosophes de l’école ionienne, Thalès et Anaximène, la terre était un disque que l’Océan entourait comme une ceinture, et l’on plaçait vers ses bords l’Élysée, les îles des Bien-Heureux, les Hyperboréens et le peuple juste des Éthiopiens. La fertilité du sol, la douceur du climat, la force physique des hommes, l’innocence des mœurs, tous les biens appartenaient aux extrémités du disque terrestre. Plus tard, lorsque la cosmographie chrétienne, effaçant l’idée de la rotondité de la terre, eut de nouveau converti notre planète en une surface plane, non en forme de disque comme au temps de Thalès, mais en parallélogramme, on enseigna qu’au-delà de l’Océan, des quatre côtés du continent intérieur qui représente l’area du tabernacle de