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L’EUROPE ET LA CHINE.

ce que sera la patrie, ce qu’il sera lui-même dans un délai de dix ans, de dix mois peut-être ?

Autrefois nous avions à pleines mains des illusions à la chinoise ; mais nous nous en sommes guéris, nous sommes devenus des esprits forts. Malheureusement, nous pouvons le dire, car c’est entre nous, il n’y a pas de Chinois qui écoute à la porte, nous n’en sommes devenus jusqu’à présent ni meilleurs ni plus heureux. Puis, sommes-nous bien sûrs de nous être dépouillés de toute illusion et de tout mysticisme ? L’amour de nos rois, qui se confondait jadis avec l’amour de la patrie, c’était un préjugé, soit ; et il ne nous en reste plus un atôme. Mais, si nous ne nous inclinons plus avec un respect filial (j’allais dire chinois) devant le trône de nos princes, en retour nous nous sommes mis à adorer profondément des abstractions métaphysiques. Y eut-il jamais au monde mystère qui fût plus mystifiant que le dogme parlementaire de la pondération des pouvoirs, lequel donne pour symbole à la perfection des gouvernemens ce quadrige sculpté sur la façade du Louvre, que deux vigoureux attelages tirent de toutes leurs forces en deux sens opposés sans le faire bouger ? En fait de mystère, pour des gens de progrès, nous pouvions plus heureusement choisir.

Des esprits éminens, et en dernier lieu Benjamin Constant, ont pensé et dit que, politiquement et socialement, l’Europe marchait vers le système de la Chine ! Était-ce de leur part du pessimisme ou de l’optimisme, un regret ou un espoir ?

II. — DE LA TENDANCE DE L’OCCIDENT À SE RAPPROCHER DE
L’EXTRÊME ORIENT.

Dans les temps d’instabilité extrême où nous vivons, les hommes qui tiennent les rênes de l’état chez la plupart des nations européennes et particulièrement en France, ne prennent aucun souci de ce qui se passe dans cet Orient reculé : ils ne s’inquiètent pas de la convenance qu’il peut y avoir à préparer des relations avec lui, et l’on serait mal venu, probablement, à signaler ce sujet à leur attention. Cela ne prouve point que le sujet doive être relégué parmi ceux dont se bercent les visionnaires, et qu’il soit indigne d’un homme positif de s’en préoccuper. Cela pourrait bien attester seulement ce qui malheureusement n’est plus à démontrer, que les intérêts de l’avenir n’ont plus de place dans la pensée des gouvernans. Ministres dirigeans ou ministres subalternes, les hommes politiques sont absorbés