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L’EUROPE ET LA CHINE.

parfaite ; et, fait curieux, qui montre à quel point leur nature et leur histoire diffèrent de la nôtre, cette conciliation a eu lieu naturellement, sans combats, sans efforts.

Le principe d’égalité est installé chez eux sans réserve. Leur constitution ne reconnaît d’autre titre que le mérite personnel, et elle met tout en œuvre pour que le mérite surgisse et prenne son rang dans l’état. Tout y est au plus digne, tout, à l’exception de la couronne ; encore n’est-ce pas la loi de primogéniture qui règle l’ordre de succession : l’empereur choisit parmi ses fils celui qui doit le remplacer. C’est l’organisation démocratique la plus réelle qu’il y ait sur la terre. Avec un peu de bonne volonté, on pourrait dire qu’elle est la seule dont la valeur ait été parfaitement constatée et sanctionnée par l’expérience ; car les anciennes démocraties occidentales n’ont été, à vrai dire, que des oligarchies ou des aristocraties. Les opinions qui se propagent aujourd’hui chez nous sous le nom de démocratiques sont des idées non d’égalité, mais de nivellement odieux et de promiscuité brutale, non populaires, mais populacières. Et la démocratie américaine, à qui l’on peut à bon droit adresser ces reproches de promiscuité et de populacerie, n’est encore qu’à l’état d’essai ; ce serait un jugement précipité que de lui décerner dès à présent les honneurs dus à un système établi, solidement assis, ayant pignon sur rue. Elle a clos à peine son premier demi-siècle, et déjà elle a cessé d’offrir, dans le jeu de ses mécanismes, cette régularité simple et majestueuse qui la rendait l’envie des nations de l’Europe et l’effroi des têtes couronnées.

De même la famille est le pivot de leur société. L’unité sociale qui chez nous, aujourd’hui, est l’individu, est chez eux la famille. Ils vivent de la vie de famille, groupés par nombreux ménages, frères avec frères, parens et enfans réunis, ce qui renforce et resserre les liens du sang, élargit l’existence et lui donne du charme, et présente tous les avantages économiques qu’amène avec elle l’association. En Chine, le sentiment de famille est le régulateur suprême des actes publics ou privés de chacun, la base des peines et des récompenses. Il joue le plus grand rôle dans la politique comme dans la vie intime, par l’assimilation complète et parfaite de l’état à une famille. Cette assimilation n’est pas une fiction admise seulement dans les livres, et n’ayant d’existence que sur le papier ; c’est la religion politique du pays, religion qui n’a pas de dissidens ; ce n’est pas une vaine formule, une convention sans conséquence, c’est un fait positif ; car qu’y a-t-il de plus positif et de plus réel qu’un sentiment gravé dans tous