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Quelques jours avant l’entrée de Cabrera en France, le 25 juin, une autre troupe et un autre général passaient aussi la frontière, du côté de Bayonne. Cette fois, ce n’était plus le chef qui entraînait ses soldats sur le territoire étranger ; c’étaient les soldats qui avaient forcé leur chef à y chercher un asile. Poursuivis l’épée dans les reins par les généraux de la reine, accueillis à coups de fusil par les habitans des campagnes, ils avaient fait cent lieues en dix jours, sans pain, sans habits, sans chaussures, presque sans munitions, mais non sans avoir souvent fait face à l’ennemi, quoiqu’ils ne fussent en tout que quinze cents. Ces hommes de fer, qui ont effrayé la ville de Bayonne de leur aspect farouche et sauvage, avaient brisé leurs armes à la frontière plutôt que de les livrer à l’étranger. Ils avaient pour général l’indomptable Balmaseda.

Balmaseda est l’homme vraiment fort de cette guerre. C’est lui qui a le premier deviné Maroto, lui qui est seul resté debout dans la débâcle de l’armée de Navarre. Né en Castille d’une famille distinguée, il était lieutenant-colonel à la mort de Ferdinand. Il prit aussitôt les armes pour don Carlos, et ne les a quittées qu’au dernier moment. Doué d’une haute taille et d’une force herculéenne, il a toujours fait la guerre en partisan, à la tête d’un corps de cavalerie qui répandait partout la terreur. On a vu qu’il avait été rejoindre Cabrera après la convention de Bergara ; mais ils ne purent pas s’entendre, et il le quitta bientôt. Il revint le trouver vers le milieu de l’hiver, pour l’inviter à l’aider à faire pendre Segarra, qui commandait l’armée de Catalogne, et qu’on soupçonnait déjà de la défection qu’il a réalisée plus tard. Cabrera ne voulut pas l’écouter. Alors, las de ne trouver dans les généraux carlistes que des traîtres ou des danseurs, — c’est ainsi qu’il les appelle, — il essaya de s’établir à part à Beteta ; mais il n’y put réussir, et c’est de là qu’il a été récemment contraint de partir pour se jeter en France à marches forcées.

Cabrera a eu sur Balmaseda l’avantage de se donner de bonne heure un centre d’opérations où il revenait toujours ; mais si Balmaseda avait été moins inquiet, moins nomade, et que le sort l’eût appelé, au lieu de l’élève du chanoine don Vicente, à être le chef de 30,000 hommes, il est probable qu’il aurait fait une autre fin. Aussi parle-t-il avec dédain du comte de Morella : « Il se trouvera bien en France, dit-il amèrement ; il pourra y faire de la musique à son aise ; qu’on lui donne une guitare, et il ira chanter par les chemins. »


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