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chefs de son armée, ayant reçu des lettres des chefs navarrais, qui les engageaient à suivre l’exemple donné par les provinces, parurent hésiter et prêter l’oreille aux idées d’accommodement. Cabrera en fut promptement informé, car il avait organisé dans son camp un vaste système d’espionnage, et il craignit de voir s’écrouler sa puissance, qui ne reposait que sur la guerre. Voici comment il s’y prit pour couper court à toute tentative de ce genre.

Il fit inviter un jour tous ses officiers à se rendre auprès de lui. Quand ils furent réunis, il prit la parole, et leur demanda du ton le plus naturel quel était leur avis sur des propositions de transaction qui lui étaient faites, et s’il ne leur paraissait pas à propos de les accepter. Forcadell, le plus bouillant d’entre eux, s’écria, dès les premiers mots, qu’il aimerait mieux sortir sur-le-champ que d’entendre parler de traiter. « Eh bien ! sors, » lui répondit Cabrera avec emportement, en lui montrant la porte. Forcadell se leva en effet, et sortit. Il fut suivi par Llangostera. Cabrera alla fermer la porte sur eux, et revint s’asseoir à sa place, en disant : « Nous n’avons pas besoin de fous ici. » Puis il recommença à exprimer des doutes et à consulter les assistans sur ce qu’il y avait à faire. Chacun se crut alors autorisé à donner son avis, et quelques-uns exprimèrent des désirs de conciliation.

Dès que le conseil fut levé, Cabrera fit fusiller tous ceux qui avaient paru incliner vers un accommodement. Dans le nombre se trouvait le gouverneur de Cantavieja. Puis il publia un ordre du jour portant que quiconque dans l’armée prononcerait seulement le mot de transaction, serait immédiatement puni de mort.

Il ne borna pas là ses précautions. Il ordonna qu’en dehors d’une ligne tracée autour de ses positions, il y aurait une lieue de solitude absolue. Tous ceux qui habitaient cet espace reçurent l’ordre d’en partir sur-le-champ, et il fut interdit à qui que ce fût d’y mettre le pied sous peine de mort. Les patrouilles parcouraient sans relâche l’intervalle condamné ; tous ceux qui y étaient trouvés, carlistes ou christinos, étaient fusillés sans rémission.

Toute communication fut coupée par ce moyen énergique entre Cabrera et le reste de l’Espagne, si bien qu’on fut long-temps sans savoir même ce qu’il était devenu. Les uns le disaient mort, les autres en fuite, tandis qu’il se tenait renfermé sous la protection de ce formidable cordon sanitaire, comme si le monde entier eût été pestiféré. On pouvait bien partir pour Morella, mais rien n’en revenait, pas un seul homme, pas le moindre bruit. Ainsi se passa le mois d’octobre 1839 et une partie du mois de novembre.

Quand Cabrera sortit de ce silence effrayant, il était sûr de son