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degré le mécontentement d’une grande partie de l’armée, et particulièrement de Cabrera. « À l’avenir, s’écria-t-il devant tous ses officiers en recevant l’ordre du prince, je n’en ferai qu’à ma tête : Yo haré a mi cabeza. » Et il a tenu sa promesse.

Dès que le mouvement de retraite fut commencé, il repartit avec ses divisions vers le royaume de Valence, laissant don Carlos s’en retourner dans les provinces comme il pourrait. Sa réputation militaire s’était accrue dans cette campagne de toute l’irritation qu’avait causée l’insuffisance du prétendant. Chacun disait que si le général Cabrera avait commandé l’armée, on serait entré dans Madrid, et c’était à qui raconterait le plus de faits d’armes de ce jeune héros. Depuis ce jour, il a toujours occupé la scène. L’année 1838 a été funeste aux armes de don Carlos. Elle a été très favorable au contraire à Cabrera, qui semblait s’élever à mesure que la cause carliste s’abaissait en Navarre. Chaque pas fait en avant par l’armée d’Espartero était compensé par un succès de l’heureux partisan, et les regards s’habituaient peu à peu à se porter sur lui.

Depuis long-temps, il convoitait la place de Morella, pour en faire sa place d’armes. On apprit tout à coup, au mois de février 1838, qu’il venait de s’en rendre maître. Voici des détails authentiques sur ce coup de main, dont les circonstances ont été complètement inconnues jusqu’ici.

Un artilleur, nommé Pedro, avait déserté des troupes de la reine Christine, et avait pris du service sous Cabrera. Un jour, cet homme, qui avait fait partie de la garnison de Morella, se plaça sur le chemin de don Ramon ; et, portant la main à son berret : Général, dit-il, je m’engage à prendre Morella avec la moitié d’une compagnie, si votre excellence veut la mettre à ma disposition. — Tu l’as, répondit le général frappé de son air résolu ; quand ce ne serait que pour récompenser ta bonne volonté. Peu d’instans après, Pedro partait pour Morella avec sa petite troupe, qui se composait de quarante hommes d’infanterie, commandés par un lieutenant. Il était environ sept heures du soir, et la nuit était close quand il arriva au pied du rocher que surmonte la citadelle.

Il s’occupa aussitôt de chercher dans les ténèbres le point par où il avait souvent escaladé ou descendu le rocher, pendant qu’il était à Morella. La nuit était froide, les vivres étaient rares ; le lieutenant et ses soldats commençaient à murmurer, quand ils virent Pedro suspendu à plusieurs pieds de hauteur au-dessus de leurs têtes, et grimpant comme un singe le long du pic. En moins de trois quarts