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mort. Cette cruauté de Cabrera, qui est devenue depuis proverbiale, était déjà bien connue, bien établie, à l’époque dont nous parlons, quand un tragique évènement, survenu à la fin de février 1836, vint, sinon la justifier, du moins lui servir d’excuse.

La vieille mère de Cabrera vivait très retirée à Tortose. Le brigadier Nogueras, commandant-général du Bas-Aragon, la fit enlever, et demanda au général Mina, qui était alors capitaine-général de la Catalogne, l’autorisation de la faire exécuter comme prévenue de conspiration. Mina donna l’ordre, et la pauvre femme fut tout uniment fusillée, sans autre forme de procès, en représailles, disait-on, des horreurs que son fils commettait tous les jours. Interrogé plus tard dans les cortès sur cet acte de barbarie sauvage, Mina a voulu soutenir qu’il y avait eu conseil de guerre, procès régulier, jugement, et que la conspiration avait été démontrée ; mais il lui fut impossible de le prouver, et la responsabilité du fait retombe tout entière sur Nogueras et sur lui.

Quoique brouillé depuis long-temps avec sa mère, Cabrera avait conservé pour elle cette affection reconnaissante que les mauvais sujets ont toujours pour la seule personne qui leur ait montré de l’indulgence dans leurs égaremens. Transporté de fureur à la nouvelle du crime qui venait d’être commis, il ordonna, dans un ordre du jour terrible, que trente-quatre femmes d’officiers christinos, qui étaient alors entre ses mains, fussent immédiatement fusillées. Il annonça en même temps que tous ceux qu’il prendrait à l’avenir les armes à la main seraient fusillés, et qu’il vengerait sans rémission le meurtre de sa mère sur les familles des chefs christinos. Cette épouvantable menace fut remplie à la lettre, surtout dans les premiers temps qui suivirent l’attentat de Nogueras, et l’ascendant de Cabrera s’accrut de tout le prestige que donne en Espagne une mission de vengeance religieusement exécutée.

Pendant les six premiers mois de 1836, il ne cessa pas de battre la campagne dans le royaume de Valence, où il se rencontra plusieurs fois avec le général Palarea. Au mois de juillet de la même année, il fut élevé par don Carlos au grade de maréchal-de-camp. Ses ennemis ont prétendu que, pour s’assurer de l’avancement, il avait placé une de ses anciennes maîtresses en qualité de servante chez le comte de Villemur, alors ministre de la guerre de don Carlos, et qu’il avait soin de lui faire passer de l’argent de temps en temps par un muletier pour qu’elle corrompît à son profit les conseillers du prétendant. Mais cette histoire pourrait bien n’être qu’une de ces suppositions