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REVUE. — CHRONIQUE.

scandale. Depuis Voltaire, on a trop oublié l’esprit en poésie ; M. de Musset lui refit une large part ; avec cela, il eut encore ce qu’ont si peu nos poètes modernes, la passion. De la passion et de l’esprit, voilà donc son double lot dans ses charmans contes, dans ses petits drames pétillans et colorés. Il est sûr de vivre par là entre tous les poètes ses contemporains ou quelque peu ses aînés. Sa Nuit de Mai restera un des plus touchans et des plus sublimes cris d’un jeune cœur qui déborde, un des plus beaux témoignages de la moderne muse. Le Lac, Moïse, Ce qu’on entend sur la montagne, la Nuit de Mai, voilà comme de loin, j’imagine, la postérité, ce grand pasteur au regard sommaire, et qui ne voit que les cimes, énumérera les princes des poètes de ce temps. Après ce qu’il a fait, M. de Musset est resté modeste ; il ne s’exagère point la grandeur de son œuvre, il s’en dissimule trop peut-être le côté délicieux et captivant ; peu soucieux de l’avenir, il dit pour toute préface au lecteur :

Ce livre est toute ma jeunesse ;
Je l’ai fait sans presque y songer.
Il y paraît, je le confesse,
Et j’aurais pu le corriger.

Mais quand l’homme change sans cesse,
Au passé pourquoi rien changer ?
Va-t’en, pauvre oiseau passager,
Que Dieu te mène à ton adresse !

Qui que tu sois, qui me liras,
Lis-en le plus que tu pourras,
Et ne me condamne qu’en somme.

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Ce naturel-là, qui est un charme, ne doit pas aller pourtant jusqu’au découragement intérieur et à la négligence de si beaux dons. Au moment où les fruits sont le plus parfaits et le plus savoureux, il ne faut pas que l’arbre se dégoûte d’en produire. L’idéal suprême, à l’instant où on le découvre, fait tomber le ciseau des mains de l’artiste, mais il le reprend bientôt, et poursuit plus lent et plus sûr, ne perdant plus de l’œil la grande beauté. M. de Musset fera ainsi ; les trésors d’observation et de larmes qui se sont amassés dans cette ame jeune encore en sortiront. Voici, en attendant, et comme signe de bien gracieuse espérance, deux pièces inédites que nous empruntons au dernier recueil, l’une plus tendre, l’autre plus légère, et toutes deux sensibles.

Pâle étoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant ;
De ton palais d’azur, au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine ?
La tempête s’éloigne, et les vents sont calmés.
La forêt, qui frémit, pleure sur la bruyère ;
Le phalène doré, dans sa course légère,
Traverse les prés embaumés.
Que cherches-tu sur la terre endormie ?