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REVUE. — CHRONIQUE.

force. La France peut-elle le supporter ? non, à aucun prix. C’est là une réponse qui est au fond de tous les cœurs, de toutes les pensées, de tous les systèmes. Les adversaires les plus décidés de notre établissement en Afrique, ceux-là même qui n’auraient pas hésité à évacuer l’Algérie, lorsque nous y étions en paix avec tout le monde, ne voudraient pas aujourd’hui abandonner un pouce de terrain. C’est que toutes les opinions, comme tous les systèmes, se rencontrent sur un point commun ; c’est qu’il n’y a plus de dissentiment possible lorsqu’il s’agit de la dignité de la France, de l’honneur national.

D’un autre côté, tenons-nous en garde contre l’esprit de notre temps ; préservons-nous des atermoiemens, des demi-mesures. L’affaire d’Afrique, conduite mollement, serait interminable ; elle pourrait renouveler pour nous cette longue et funeste guerre d’Espagne, lorsque nous n’étions jamais maîtres que du terrain qu’occupaient les semelles de nos soldats, lorsque, vainqueurs dans tous les combats, nous n’avions cependant jamais pu vaincre le pays et le plier à nos lois.

Ce fut une erreur de Napoléon que de se persuader que l’affaire d’Espagne n’exigeait pas de grands efforts, qu’on pouvait la combiner avec d’autres expéditions, qu’elle finirait d’elle-même, de guerre lasse ; que les populations, fatiguées, vaincues, appauvries, rentreraient paisiblement dans leurs foyers. Les guerres nationales des peuples fanatiques et barbares sont régies par d’autres lois générales que celles qui gouvernent les guerres des nations riches et civilisées. Nos soldats avaient l’instinct de cette différence, lorsque, en Espagne, ils regrettaient si gaiement cette Italie, cette Allemagne si bonnes à conquérir, si faciles à garder.

Le cabinet s’occupe très sérieusement de l’affaire d’Afrique. Nous ignorons ses idées, ses projets. Ce que nous demandons avant tout, ce sont des mesures décisives et un plan bien arrêté. Un système médiocrement bon, qu’on maintiendrait avec suite, avec énergie, avec persévérance, vaudrait mieux que les idées les plus heureuses, les plus lumineuses, mises en pratique avec hésitation, par voie de tâtonnement et d’essai.

Jusqu’ici on n’a jamais su au juste ni ce qu’on voulait faire en Afrique, ni ce qu’on voulait faire de l’Afrique. Qu’Abd-el-Kader nous rende du moins le service de nous contraindre à prendre un parti, à résoudre les deux questions.

On parle beaucoup du projet du général Rogniat, de l’obstacle continu au moyen d’un mur et d’un fossé qui mettrait une partie de nos possessions, la plaine de la Mitidja, à l’abri des incursions des Arabes. Le projet est ingénieux ; la dépense ne serait pas excessive ; le résultat paraît certain ; un faible corps suffirait pour garder l’enceinte contre des hordes barbares. Nous sommes moins rassurés sur les effets morbides d’un grand remuement de terre dans un pays si exposé aux influences typhoïdes, aux ravages de la fièvre et de la dyssenterie.

Les affaires d’Espagne prennent tous les jours une tournure plus favorable à la cause constitutionnelle. Le général Ségarra fait sa soumission, et il exhorte les insurgés à se rallier au parti national. Balmaseda a été battu. La