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sandal, après lui avoir lavé les pieds, il l’invoque par le salut éternel. Le dieu lui ordonne alors de chanter Rama, le héros de la caste guerrière : « Achève, lui dit-il, le poème divin de Rama. Aussi longtemps que les monts s’appuieront sur leurs bases, et que les fleuves poursuivront leurs cours, le Ramayana sera répété par la bouche des hommes, et, tant que le Ramayana durera, mes mondes infinis te serviront d’asile. »

Que peut être une œuvre ainsi imposée par la religion, si ce n’est un acte du culte, une épopée sacerdotale ? Tel sera, en effet, le caractère de cet ouvrage. Mélange du prophète et du guerrier, il tiendra du Coran et de l’Iliade. Ce qui manque aux civilisations grecque, romaine, moderne, se découvre dans la seule civilisation indienne, un poème épique né de l’inspiration de la caste des prêtres. Dans l’Iliade, qui est voisine de cette antiquité, combien le principe de l’inspiration n’est-il pas différent ! Homère est entièrement affranchi du génie du sacerdoce. C’est un vieillard qui va librement de ville en ville, non un prêtre attaché à un sanctuaire. « Chante, déesse, la colère d’Achille, » voilà ses premiers mots. C’est lui qui commande et s’impose à son dieu ; c’est lui qui l’aiguillonne. Il règne dans son œuvre, et, par ce début, on sent déjà que l’art grec a conquis une pleine indépendance. Il dispose à son gré des évènemens et des traditions ; il les change comme il lui plaît. Les cieux même lui sont soumis, car il les orne à sa fantaisie ; et toujours orthodoxe, pourvu qu’elle soit belle, sa croyance renferme déjà un scepticisme prématuré. Dans l’épopée indienne, au contraire, le poète est soumis en esclave au dieu qui le visite et lui prescrit son œuvre, comme un rituel liturgique. Il se prosterne la face contre terre au seuil de son poème ; le caractère du génie oriental est ainsi représenté dans ce premier dialogue de Valmiki et de Brahma, du poète et du dieu ; ou plutôt il n’y a ici ni poète, ni artiste, ni poème, mais un dieu, un prêtre, un sanctuaire, une cérémonie solennelle, l’offrande de la parole harmonieuse ; car ces épopées sont placées au rang des livres sacrés : elles sont pour les Indiens ce que le Coran est pour les mahométans, l’Évangile pour les chrétiens. C’est sur ces livres ouverts que se prêtent les sermens dans les actes de la vie civile et politique ; et ce caractère sacré peut-il être exprimé avec plus de force que dans les vers suivans : « Celui qui lira le récit des actions de Rama sera délivré de tous ses péchés ; il sera exempt de tout malheur dans la personne de son fils, de son petit-fils. Heureux qui, écoutant le Ramayana, l’a compris jusqu’à la fin ! heureux qui seulement l’a lu jus-