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thousiasmé. Son enseignement était si original, sa parole si vive, si colorée, si saisissante ; il réfutait ses adversaires avec tant de véhémence et d’esprit, que l’amphithéâtre de la rue du Foin ne put bientôt plus contenir tous ceux qui accouraient pour l’entendre. Il transporta son cours dans l’amphithéâtre plus vaste de la rue des Grès, et put bientôt le poursuivre d’une manière officielle à l’hôpital même du Val-de-Grâce. M. Broussais renouvela à cette époque les merveilleux succès des plus célèbres professeurs du moyen-âge. La puissante parole du maître entraînait la persuasion exaltée des disciples. L’irritation était devenue un article de foi médicale ayant ses fanatiques et au besoin ses martyrs, et l’on vit assez fréquemment la gastro-entérite provoquer des duels de la part de ceux qui en trouvaient les signes dans toutes les ouvertures de cadavres, et voulaient qu’on y crût sous peine de mort.

Mais il ne se borna point à cette propagation orale de ses idées. Il eut recours à une publicité plus étendue, et fit paraître son célèbre Examen des doctrines médicales, qui acheva la révolution commencée par ses cours. Ce livre, qui a acquis des développemens successifs, était à la fois un code de règles impérativement énoncées en forme d’articles, et une histoire critique des divers systèmes qui avaient précédé le sien. Législateur de la science nouvelle et juge de la science passée, M. Broussais citait à son tribunal tous ses grands prédécesseurs depuis Hippocrate jusqu’à Pinel, et faisait le procès à leurs idées d’après la loi qu’il venait de promulguer. Il n’eut pas de peine à les convaincre d’erreur, puisqu’il se donnait à la fois comme l’inventeur et l’arbitre de la vérité médicale. Condamnant tour à tour les galénistes, les humoristes, les chimistes, les mécaniciens, les animistes, les pinélistes, les éclectiques et les empiriques des divers temps, il montra les vices particuliers aux systèmes qu’ils avaient suivis en médecine. Son ouvrage produisit l’effet qu’il en attendait. Il fut lu avidement, car il était écrit avec verve, d’un style inégal, mais simple, énergique, riche, animé. Il frappa par une science vaste malgré son point de vue exclusif et par un air de justice que lui donnait l’histoire dont il avait emprunté la forme et l’autorité. La confrontation successive de la doctrine physiologique avec toutes les autres, et les passions que M. Broussais ne pouvait pas s’empêcher de mêler à ses idées, y répandaient un intérêt en quelque sorte dramatique. Aussi, quoique le novateur y eût exposé les théories de ses devanciers avec la partialité naturelle à un adversaire, quoiqu’il eût entrepris de renfermer l’observation et la clairvoyance humaines dans