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bandit corse qui nous a servi de guide. — Comment ! vous avez été en Corse ?…

Les bateaux à vapeur n’existant point encore entre la France et la Corse, on s’enquit d’un navire en partance pour l’île que miss Lydia se proposait de découvrir. Dès le jour même, le colonel écrivit à Paris pour décommander l’appartement qui devait le recevoir, et fit marché avec le patron d’une goëlette corse qui allait faire voile pour Ajaccio. Il y avait deux chambres telles quelles. On embarqua des provisions ; le patron jura qu’un vieux sien matelot était un cuisinier estimable et n’avait pas son pareil pour la bouille-abaisse ; il promit que mademoiselle serait convenablement, qu’elle aurait bon vent, belle mer. En outre, d’après les volontés de sa fille, le colonel stipula que le capitaine ne prendrait aucun passager, et qu’il s’arrangerait pour raser les côtes de l’île de façon qu’on pût jouir de la vue des montagnes.

II.

Au jour fixé pour le départ, tout était emballé, embarqué dès le matin : la goëlette devait partir avec la brise du soir. En attendant, le colonel se promenait avec sa fille dans la Canebière, lorsque le patron l’aborda pour lui demander la permission de prendre à son bord un de ses parens, c’est-à-dire le petit cousin du parrain de son fils aîné, lequel retournant en Corse, son pays natal, pour affaires pressantes, ne pouvait trouver de navire pour le passer. — C’est un charmant garçon, ajouta le capitaine Matei, militaire, officier aux chasseurs à pied de la garde, et qui serait déjà colonel si l’autre était encore empereur.

— Puisque c’est un militaire, dit le colonel… il allait ajouter : Je consens volontiers à ce qu’il vienne avec nous. Mais miss Lydia s’écria en anglais :

— Un officier d’infanterie ! (son père ayant servi dans la cavalerie, elle avait du mépris pour toute autre arme,) un homme sans éducation peut-être, qui aura le mal de mer, et qui nous gâtera tout le plaisir de la traversée !

Le patron n’entendait pas un mot d’anglais, mais il parut comprendre ce que disait miss Lydia à la petite moue de sa jolie bouche, et il commença un éloge en trois points de son parent, qu’il termina en assurant que c’était un homme très comme il faut, d’une famille de caporaux, et qu’il ne gênerait en rien M. le colonel, car lui,