Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/994

Cette page a été validée par deux contributeurs.
990
REVUE DES DEUX MONDES.

fant suspendu au toit ; quelquefois, dans le coin le plus sombre, une chèvre broutait des feuilles sèches. De loin en loin j’apercevais un vieillard qui fourbissait des armes, un blessé les mains jointes sur son chapelet, ou une femme allaitant son enfant. Boishardy avait raison : c’était une ville de guerre et non un campement ; la famille avait été transportée là avec toutes ses habitudes ; le mouvement du ménage s’y mêlait au mouvement militaire, le bruit du travail au bruit des armes. Mais ce bruit et ce mouvement avaient quelque chose de morne. Chacun était tout entier à son œuvre, la faisant vite et silencieusement. Point de chant de femme, nul cri d’appel, aucun rire de voisin. Les enfans, assis au milieu du placis verdoyant, ne jouaient pas ; les chiens, endormis au soleil, levaient la tête à mon approche sans oser aboyer ; une sorte de contrainte planait sur tout, et les oiseaux seuls chantaient autour de cette triste ville de la forêt.

J’étais tout occupé de l’étrange spectacle que j’avais sous les yeux, lorsque la voix de Boishardy me fit détourner la tête. Il s’avançait vers nous accompagné d’une jeune femme que je reconnus tout de suite pour celle de ses maîtresses que ses soldats avaient surnommée la Royale. La beauté de cette femme m’éblouit ; elle portait un costume d’amazone en drap bleu garni de brandebourgs, un chapeau à cuve basse orné d’une plume blanche, et des bottines à franges d’or. Ses cheveux noirs tombaient en longues boucles sur son cou d’une blancheur rosée ; elle tenait dans sa main droite une carabine incrustée de nacre et précieusement ciselée, tandis que son autre main dégantée était passée au bras du jeune chef. À la voir s’avancer ainsi, belle, forte et si fièrement noble dans son amour, on eût dit une Diane chasseresse. Je me découvris à son approche avec une sorte d’admiration : elle salua légèrement.

— Nous ne pourrons voir les autres chefs royalistes, me dit Boishardy ; mais je ne veux point que votre course ait été inutile. Voici, pour le général Humbert, une lettre dans laquelle je propose de suspendre les hostilités tout le temps qu’il faudra pour s’entendre.

— Le général la recevra aujourd’hui même, répondis-je en faisant un mouvement pour prendre congé.

La compagne de Boishardy me retint.

— Vous venez de faire une longue route, monsieur, dit-elle, et vous ne pouvez nous quitter ainsi ; veuillez entrer dans notre cabane vous y trouverez l’hospitalité du charbonnier.

Je m’inclinai en remerciant, et je la suivis. La hutte de Boishardy était plus grande que les autres, mais non plus ornée. J’y trouvai la