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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

— Pitt promet des fusils, de la poudre et des vestes rouges, pour nos paysans… avec des vestes rouges et des plumets, nous les mènerons au feu comme à la danse ; ceux qui tomberont seront trop heureux d’arriver habillés neuf en paradis.

Le petit chouan à la voix grêle secoua la tête.

— Tant qu’on ne vous débarquera point ici une armée d’émigrés, il n’y a rien à espérer, dit-il ; vos Bretons sont des sauvages dont on ne peut se faire entendre ; ce qui vous manque avant tout, messieurs, ce n’est ni la poudre ni l’argent : ce sont des hommes bien nés pour vous commander.

— Ne craignez donc rien, s’écria Floville ironiquement ; ils viendront dès qu’il n’y aura plus de coups à recevoir.

— Reste à savoir si nous voudrons d’eux alors, dit brusquement l’homme à la face bourgeonnée.

Le jeune gentilhomme le regarda avec hauteur.

— Vous oubliez que la noblesse a ses droits, observa-t-il. Le roi saura récompenser les services de tout le monde ; mais la première condition pour le retour au bon ordre est de l’établir parmi vous, en donnant à chacun la place à laquelle son rang l’appelle. Il y a ici une confusion que l’émigration ne peut tolérer plus long-temps. L’armée royaliste est aussi républicaine que celle des bleus. Les gardes-chasse s’y sont faits les égaux de leurs anciens maîtres, et vous avez des colonels nés pour être sergens recruteurs.

— Comme moi, par exemple, monsieur le vicomte ? demanda le chouan en ricanant.

— Comme vous, mon cher, répondit le gentilhomme avec un sang-froid impertinent.

— Que les émigrés viennent donc nous arracher nos commandans ! s’écria le gros homme, qui se leva les poings fermés ; venez-y, vous, tout le premier, si vous l’osez.

— Monsieur ! dit le vicomte avec hauteur.

— Allons ! la paix, s’écria Floville ; monsieur le vicomte n’a point, que je sache, mission du roi pour distribuer les grades dans l’armée ; et toi, Bénédict, mon brave, sois bon enfant, et laisse dire. Il est temps que tu partes d’ailleurs, on t’attend.

Le chef de bande voulut répliquer ; mais, sur un geste du maquignon, sa voix s’éteignit comme le grondement d’un chien irrité auquel son maître impose silence. Il vida son verre, se leva lentement, examina l’amorce de son fusil ; puis, se tournant vers le chouan au panache vert :