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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

rait cette armée en douze colonnes qui marcheraient pendant huit jours par douze routes différentes, ayant en tête un général et un représentant en habits neufs. Chaque colonne laisserait en route ceux de ses hommes qui auraient des entorses ou des cors aux pieds, de manière à arriver réduite de moitié aux quatre chemins, près de Saint-Fulgens. Là on élèverait une pyramide sur laquelle seraient gravés les droits de l’homme et les noms des amis de l’humanité, le tout surmonté d’un grand bonnet phrygien ; puis, autour de cette pyramide, on bâtirait une ville ayant foires et marchés, avec des casernes pour six mille hommes. La ville recevrait le nom de Commune de l’union. Enfin tous les chouans du pays seraient avertis qu’ils peuvent se présenter pour faire leur soumission ; on leur distribuerait des cartes de sûreté, et le pays serait pacifié.

Nous ne pûmes nous empêcher de rire de cet étrange projet de pacification[1].

— Il y a encore, ajouta le maquignon, le plan du citoyen Ricard, qui consiste à semer les fourrés de trapettes et de piéges à loups, ou celui de la société populaire d’Ernée, qui conseille la formation d’un bataillon de chiens patriotes dressés à la chasse des chouans. La seule chose qui m’étonne, c’est que l’on n’ait pas encore proposé de les prendre à la ligne ou au gluau.

La conversation continua sur ce ton. Le citoyen Floville était libre et railleur dans ses paroles, mais du reste joyeux compagnon. Il parla en connaisseur des paroisses qui produisaient le meilleur cidre, les plus jolies filles et les plus beaux chevaux, interrogea le capitaine sur la force de son détachement, la route qu’il voulait suivre, l’heure à laquelle il devait partir, et lui donna quelques bons conseils sur les précautions à prendre.

Comme nous allions nous lever de table, maître Floch entra en annonçant qu’un municipal, le citoyen Durmel, demandait à parler au capitaine. Il me sembla que le maquignon tressaillait à ce nom.

— Qu’il entre, dit Rigaud.

Et, se tournant vers nous :

— Vous allez voir un homme curieux, continua-t-il : le cœur d’un lièvre sous le plumage d’un paon. Écoutez ; c’est lui qui fait tout ce bruit ; il a toujours l’air de battre la charge pour annoncer sa venue.

Nous entendions en effet de grands éclats de voix, des juremens et le cliquetis d’un sabre de cavalerie traînant sur les dalles. Tout à coup

  1. Ce projet avait été sérieusement proposé.