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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

tués à la piquette qu’au Falerne ; trop heureux si nous trouvons ici une omelette au lard et le pain à discrétion.

Maître Floch alla chercher ce qu’on lui demandait. Mais dans ce moment les regards du capitaine tombèrent sur le foyer, devant lequel tournait une oie dorée dont la rosée succulente inondait à chaque évolution de larges grillades placées au-dessous, dans un saucier de cuivre.

— Qu’est-ce que cela, citoyen aubergiste ? s’écria-t-il en se levant ; attends-tu donc ce soir un représentant du peuple ou quelque fournisseur ?

— Je n’attends personne, répliqua maître Floch.

— Alors vive la république une et indivisible ! dit le capitaine, débroche et sers, mon brave, nous allons faire un repas digne de Lucullus.

— Pardon, balbutia le Normand, mais la volaille appartient à un voyageur qui y compte pour son souper.

— Pour son souper ! répéta Rigaud ; je m’y oppose ; l’occasion est trop belle pour la laisser échapper : raræ fumant civibus culinæ. Vos cantons sont d’ailleurs sous l’autorité militaire ; je mets ton oie en réquisition, et je t’ordonne de la servir sur-le-champ. Si ton voyageur en veut sa part, qu’il vienne la prendre, je lui servirai moi-même les trois meilleures aiguillettes : numero gaster impare gaudet ; mais lui tout laisser serait contraire aux doctrines d’égalité fraternelle qui nous régissent. Où est-il ce mangeur de volaille, que je lui fasse entendre raison

Maître Floch allait répondre, lorsqu’une porte s’ouvrit au fond ; un homme de petite taille, mais dont la large carrure annonçait une vigueur peu commune, parut tout à coup : à son aspect, l’aubergiste tressaillit.

— Qu’y a-t-il, maître ? demanda le petit homme d’un ton où l’insouciance se mêlait à je ne sais quelle ironie hautaine ; ne demande-t-on pas à partager mon souper ?

— En effet, balbutia maître Floch.

— Je n’ai jamais repoussé des hôtes, reprit l’inconnu en se tournant de notre côté ; les citoyens n’ont qu’à prendre la peine d’entrer ; on ajoutera deux couverts.

Nous le suivîmes dans une petite chambre où la table était dressée, et il nous invita à nous asseoir. Il y eut pour le capitaine et pour moi un moment de léger embarras. La manière dont l’étranger avait prévenu notre demande nous rendait en quelque sorte ses obligés ; nous