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pertes ; aussi les vit-on tous chercher à gagner les bonnes graces de Bonaparte ou celles de M. de Talleyrand, pour qu’il leur fût adjugé une plus forte part dans les dépouilles de l’église. Le projet d’indemnité ou plutôt de partage convenu entre la France, la Russie et la Prusse, fut accepté plus tard par l’Autriche, moyennant quelques modifications en sa faveur : la diète y donna son consentement le 24 mars 1803 « comme au seul moyen d’établir la tranquillité si nécessaire au bien-être de la patrie allemande et au maintien du lien d’empire. »

Les changemens accomplis par suite du traité de Lunéville n’étaient rien moins qu’une révolution complète dans la constitution germanique. L’empire perdait à peu près le neuvième de son territoire ; plus de la moitié de ses membres était privée de son existence politique ; en revanche, plusieurs de ceux qui conservaient la leur voyaient s’accroître notablement l’étendue de leurs domaines et le nombre de leurs sujets[1]. La diète subsistait encore avec ses trois colléges et ses anciennes formes, mais tous les rapports y étaient changés. Quatre nouveaux électorats avaient été créés en faveur du duc de Wurtemberg, du landgrave de Hesse-Cassel, du margrave de Bade et du grand duc de Toscane, qui avait reçu en échange de ses états d’Italie l’ancien archevêché de Salzbourg. Des trois électeurs ecclésiastiques, un seul, celui de Mayence, avait conservé sa place à la diète, mais avec la plus grande partie de ses états et sa ville archiépiscopale de moins. Trente-un évêques ou abbés avaient disparu du collége des princes, ainsi que les deux bancs de prélats. Le collége des villes libres était réduit à six au lieu de cinquante-une. L’équilibre entre les religions, établi par le traité de Westphalie, se trouvait entièrement renversé au profit du protestantisme. Sur les dix voix électorales, six étaient protestantes ; les protestans se trouvaient en immense majorité dans le collége des princes, et dans le collége des villes, il n’y avait plus de membres catholiques. Suivant la remarque ingénieuse d’un historien[2], la révolution française, de laquelle on avait

  1. Par exemple, la Prusse échangeait 48 milles carrés et 127,000 sujets contre 235 milles carrés et 558,000 sujets ; la Bavière, 186 milles carrés et 580,000 sujets contre 290 milles carrés et 854,000 sujets ; Bade, 8 milles carrés et 25,500 sujets contre 59 milles carrés et 237,000 sujets ; Hesse-Darmstadt, 33 milles carrés et 140,000 sujets contre 100 milles carrés et 187,000 sujets. Le Hanovre, qui n’avait rien perdu, s’enrichissait de l’évêché d’Osnabruck, grace à la réconciliation récente de la France et de l’Angleterre.
  2. K. A. Menzel, Geschichte unserer Zeit, tom. II, cap. XVII.