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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

avec amertume de la conduite actuelle de Frédéric-Guillaume celle qu’il avait tenue en 1792, son ardeur belliqueuse contre la révolution française, surtout ses efforts incessans pour entraîner à tout prix ses coétats dans cette même guerre dont il leur laissait maintenant toutes les charges. Le roi de Prusse, de son côté, alléguait, pour se justifier, l’épuisement de ses ressources, les souffrances de ses peuples, la conviction acquise à la suite de trois campagnes que le but pour lequel on avait pris les armes était impossible à atteindre ; il récriminait contre l’Autriche, qui, selon lui, continuait la guerre bien moins dans l’intérêt de l’empire que pour ne pas sacrifier ses provinces des Pays-Bas. Tout cela fut dit expressément ou du moins insinué dans un écrit adressé par le roi à la diète de Ratisbonne. Mais l’opinion publique ne prit pas le change, et, loin de voir dans le traité de Bâle un de ces sacrifices nécessaires qu’imposent des revers éclatans et de grands désastres, elle persista à y reconnaître l’œuvre d’une politique égoïste et intéressée qui se retirait du combat avant la fin pour ne pas prendre sa part des pertes communes, et qui s’assurait par la défection plus d’avantages peut-être que n’en eût apporté la victoire. Dans le fait, la conduite de la Prusse annonçait et préparait la dissolution de l’empire : elle montrait à tous les yeux l’impuissance de sa constitution, la misère de ses lois, la faiblesse du lien qui était censé unir ses divers membres, l’hostilité réelle et profonde qui se cachait sous leur prétendue fraternité. Les hommes d’état berlinois faisaient bon marché de cet être de raison qu’on appelait la patrie allemande : peu leur importait que l’empire fût mutilé, pourvu que la Prusse s’arrondît et s’accrût. L’Allemagne leur paraissait aussi bonne à partager que la Pologne, fût-ce avec l’étranger, et le principe de l’indemnité aux dépens des tiers, posé à Bâle, devait avoir pour conséquence nécessaire le système de spoliation qui fut appliqué plus tard à la suite du traité de Lunéville.

La Prusse et l’Allemagne du nord s’étant retirées de la coalition, tout le poids de la guerre retomba sur l’Autriche, faiblement secourue par les états de l’Allemagne méridionale. La campagne de 1795 s’ouvrit tard, et le résultat en fut favorable aux Autrichiens. Leurs généraux Wurmser et Clairfayt forcèrent les Français à repasser le Rhin, dégagèrent Mayence et poussèrent Pichegru jusqu’aux frontières de l’Alsace ; mais l’hiver amena une suspension d’armes qui les empêcha de poursuivre leurs avantages. L’année suivante, le directoire voulut forcer l’Autriche à la paix par un gigantesque plan d’opérations : pendant que Bonaparte envahissait l’Italie, Jourdan et Moreau péné-