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ragé, et dès lors le sort des Pays-Bas fut décidé dans la pensée des ministres viennois. Les habitans de ces provinces n’ayant pas répondu à l’appel adressé à leurs états pour un armement général de la nation, les mouvemens du généralissime prince de Cobourg n’eurent plus au fond d’autre objet que d’amener et de motiver l’abandon d’un pays que rien ne pouvait émouvoir en faveur de l’Autriche. La prise de Charleroi et la défaite de Fleurus (16 juin 1794) décidèrent le général autrichien à une retraite que rien ne rendait encore nécessaire, et à laquelle s’opposèrent en vain les Anglais et les Hollandais[1]. Il se retira derrière la Meuse, pendant que l’armée anglo-hollandaise se repliait sur le Brabant septentrional.

Les généraux de la république, par l’ordre du comité de salut public, s’arrêtèrent aussi à la Meuse, et l’on reprit les places françaises conquises par les alliés. Pendant ce temps, le général prussien Moellendorf, attaqué à Kaiserslautern, avait dû céder au nombre et à l’impétuosité des troupes françaises, et s’était replié sur Mayence. C’était le contre-coup de la retraite du prince de Cobourg. Frédéric-Guillaume ayant résisté aux instances des commissaires anglais, qui voulaient que ses troupes se portassent sur la Sambre, les Autrichiens, laissés à eux-mêmes, abandonnèrent la ligne de la Meuse pour se retirer derrière la Roer : les Français les poursuivirent et les battirent près de Juliers, ce qui les décida à repasser le Rhin le 2 octobre. C’est alors que le roi de Prusse renonça formellement aux subsides de l’Angleterre, affaiblit son armée du Rhin pour pouvoir achever la soumission de la Pologne et commença à faire des ouvertures à la république[2]. Au mois de novembre, toute la rive gauche du Rhin était au pouvoir des Français, à l’exception de Luxembourg et de

  1. Lord Cornwallis déclara, dans sa correspondance avec le marquis d’Hertford, qu’ayant protesté contre l’exécution de pareils ordres, on lui avait répondu que l’empereur abandonnait les Pays-Bas à leur sort, comme des provinces réfractaires qui ne voulaient contribuer en rien à leur propre défense. « Un peuple engoué des principes jacobins, lui avait dit le comte de Metternich, qui, malgré plusieurs exhortations pressantes de courir aux armes pour défendre sa religion, sa souveraineté et lui-même, refuse de s’armer, et se présente au joug de l’étranger en chantant : Ça ira, est un phénomène réservé à nos jours de désolation. »
  2. Le 14 octobre, Moellendorf déclara à ses troupes, dans un ordre du jour, que, « le traité des subsides avec l’Angleterre ne subsistant plus, tout ce qui se faisait actuellement ne servait plus qu’à maintenir l’honneur des armes prussiennes ; que si l’ennemi tentait quelque entreprise contre l’armée, elle devait se battre d’autant mieux, que son général en chef pouvait lui promettre de bons quartiers d’hiver et une paix prochaine. »