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germanique[1], d’autre part en ménageant la Prusse, en affectant de séparer toujours sa cause de celle de l’Autriche, et en laissant ainsi la porte ouverte aux négociations dès qu’on s’apercevrait d’un refroidissement inévitable dans une alliance aussi peu naturelle. Ces vues dominèrent toute la politique de la France à l’égard de l’Allemagne pendant les guerres de la révolution, et les évènemens se chargèrent de lui donner raison.

La déclaration de guerre du 20 avril 1792 amena la rupture avec le roi de Prusse, lié à l’Autriche par un récent traité d’alliance, et qui d’ailleurs attendait avec impatience le moment où il pourrait prendre les armes contre la France révolutionnaire. Une première attaque des Français en Belgique ayant été repoussée par les Autrichiens, on se figura qu’on arriverait à Paris presque sans coup férir ; on se flatta, surtout à Berlin, qu’une armée prussienne commandée par le duc de Brunswick, élève du grand Frédéric, n’aurait qu’à se montrer pour mettre en déroute l’armée des avocats[2]. Il est sûr que la France, avec ses troupes désorganisées et composées en grande partie de nouvelles recrues, était mal préparée à se défendre ; mais les forces que la coalition mit sur pied n’étaient pas en rapport avec le but qu’elle se proposait. L’imprudent manifeste du duc de Brunswick, rédigé sous l’inspiration des émigrés, excita dans les populations françaises une exaltation patriotique poussée jusqu’à la fureur. L’irrésolution des coalisés, la lenteur de leurs mouvemens, laissèrent à leurs adversaires le temps de se reconnaître et de s’organiser. L’adresse et l’habileté de Dumouriez firent le reste. L’armée prussienne était presque à moitié chemin de Paris, lorsque ce général, connaissant la répugnance qu’inspirait cette guerre aux conseillers de Frédéric-Guillaumne, se mit secrètement en rapport avec eux[3]. Ses négociations artificieuses contribuèrent, bien plus que la canonnade de Valmy, à amener une retraite que le mauvais temps et le manque

  1. Plusieurs des princes dépouillés par le décret de l’assemblée constituante s’étaient montrés disposés à entrer en arrangement.
  2. « N’achetez pas trop de chevaux, disait à Massenbach, vers la fin de mai, le favori du roi Bischoffwerder ; la comédie ne sera pas longue. Les fumées de la liberté se dissipent déjà à Paris ; l’armée des avocats est solidement battue dans les Pays Bas ; nous serons de retour chez nous à l’automne. »
  3. Le duc de Brunswick avait été opposé à la guerre dès le commencement, et ne la faisait qu’à contre-cœur. Les conseillers les plus intimes du roi, notamment Haugwitz et Lucchesini, désiraient vivement qu’il se retirât de la coalition.