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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

digne de participer aux sublimes connaissances qu’ils tenaient en réserve pour le bonheur du genre humain. Weishaupt et ses adeptes firent preuve d’une rare habileté dans l’art de s’emparer des esprits, et ils gagnèrent un grand nombre de prosélytes dans toutes les classes de la société[1] : ils en firent jusque dans le clergé catholique, notamment Dalberg, depuis coadjuteur de Mayence, et plus tard prince primat. Mais les progrès de l’illuminisme furent bientôt arrêtés, et son existence menacée par les querelles qui s’élevèrent entre les chefs : quelques-uns, l’ayant abandonné, l’attaquèrent publiquement par des écrits auxquels Weishaupt eut l’imprudence de répondre. Cette polémique attira l’attention du gouvernement bavarois, et le conduisit à des découvertes par suite desquelles la secte fut supprimée en 1785 et ses membres poursuivis comme conspirateurs et ennemis de l’ordre social. On avait saisi un grand nombre de documens écrits, dont plusieurs furent livrés à l’impression, afin d’éclairer le public sur l’illuminisme, et de faire connaître ses plans secrets dans toute leur folie et toute leur perversité ; mais cette publication ne produisit presque pas d’effet, soit à cause du peu de crédit dont jouissait dans l’opinion le gouvernement bavarois, soit plutôt à cause de l’affinité qui existait entre les doctrines des illuminés et celles qui avaient la faveur publique. La plupart des gens considérables du temps pensaient, comme eux, qu’il fallait se débarrasser de la religion et de l’église. Quant à leurs plans politiques, on les tournait presque en ridicule, en pensant à la police vigilante et aux belles et bonnes troupes qui veillaient à la sûreté des trônes. Il résulte de là que les illuminés ne furent sérieusement poursuivis qu’en Bavière, quoiqu’ils eussent des ramifications dans toute l’Allemagne. Aucun autre prince que Charles-Théodore n’inquiéta ceux qui pouvaient se trouver dans ses états, et les tribunaux d’empire ne jugèrent pas à propos de prendre connaissance de cette affaire. « La plupart des membres de la secte, dit Menzel, persévérèrent dans son esprit ; ils continuèrent à poursuivre, chacun de son côté, les fins qu’elle s’était proposées, et ils aidèrent de tout leur pouvoir la révolution qui, quelques années plus tard, changea la face de l’empire[2]. »

  1. « Ô hommes ! que ne peut-on pas vous faire accroire ? » s’écriait Weishaupt, étonné lui-même de ses succès, en recevant les rapports que le duc de Saxe-Gotha, admis dans l’ordre comme novice, adressait à ses supérieurs inconnus, ou bien en lisant la Confession générale envoyée par un juge de la chambre impériale. Voyez le recueil intitulé Nachtrag zu den Originalschriften der Illuminaten.
  2. Karl Adolf Menzel, Geschichte unserer Zeit, tom. I, pag. 24.