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liberté et d’égalité ; enfin, ils mettaient toute leur influence au service d’une doctrine dont la première conséquence devait être le renversement de toute existence semblable à la leur. Peut-on s’étonner, après cela, des vives sympathies que la révolution française excita parmi les populations rhénanes ?

Il y eut pourtant un état catholique où les idées de réformation sociale ne trouvèrent point d’appui dans le prince ni dans ceux qui l’entouraient : ce fut la Bavière, où régnait Charles-Théodore, que la réunion sur sa tête des deux couronnes électorales appartenant à la maison de Wittelsbach avait rendu l’un des plus puissans princes de l’Allemagne. L’électeur, trop vieux et trop ami du repos pour se faire réformateur, se préoccupait peu du mouvement intellectuel de l’époque et laissait les choses dans l’état où ses prédécesseurs les avaient mises : son gouvernement n’était ni brillant ni habile ; mais le peuple bavarois était profondément attaché à la foi de ses pères[1], et le clergé avait conservé une grande influence dont il se servait pour combattre les nouvelles doctrines, ou plutôt pour en empêcher la propagation. Rencontrant là une résistance inattendue au lieu de l’accueil enthousiaste qu’elles recevaient ailleurs, ces doctrines furent obligées de se frayer une voie clandestine et pour ainsi dire souterraine : c’est ce qui donna naissance à la secte des illuminés. Adam Weishaupt, professeur à Ingolstadt, fonda en 1776 une association secrète dans le but insensé d’anéantir non-seulement le christianisme, mais toute espèce de religion, et de ramener le genre humain à cet état d’indépendance sauvage que quelques philosophes du temps appelaient l’état de nature, et qui avait précédé, selon eux, l’établissement des sociétés. Il s’attacha à frapper les imaginations par l’attrait du mystère, par les formes imposantes d’une initiation successive aux secrets de la secte, et par des récits fantastiques sur sa prétendue antiquité et sur la part qu’elle avait eue, à l’insu des profanes, dans toutes les grandes choses qui s’étaient faites pendant le cours des siècles. L’organisation de cette secte était très forte : l’obéissance aveugle en était la première loi, et l’espionnage réciproque le moyen habituel. Du reste, on ne savait pas à qui l’on obéissait ; les chefs restaient cachés dans un sanctuaire impénétrable dont on ne devait lever le voile qu’après de longues épreuves, lorsqu’on se serait montré

  1. En 1782, le pape Pie VI, revenant de Vienne, s’arrêta quelques jours à Munich, où il fut si frappé de la piété du peuple, qu’il appela cette ville la Rome allemande.