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MORT DU COMTE D’ESPAGNE.

d’Orgañi, où ils restèrent toute la journée du 29 octobre. Le soir du 29, on transporta le comte dans une autre maison de campagne. Le 30, on retourna à celle de Casa-Casellas. Tous ces mouvemens mystérieux étaient évidemment calculés. On gagnait du temps pour que la junte consolidât son nouveau pouvoir ; on voulait voir comment l’armée prendrait la disparition du comte, qu’à tout évènement on conservait vivant, et, en attendant, on délibérait sur le moyen de s’en défaire.

Vers les neuf heures du soir, le 30 octobre, on annonça au comte qu’on allait le transporter à la frontière de France et qu’on l’y laisserait libre. On chercha même à lui donner une espèce de satisfaction en lui faisant entendre que tous ces mouvemens avaient eu pour but d’éviter la rencontre d’une colonne de troupes christines d’Urgel qui rôdait aux alentours, et qu’on avait attendu la protection d’une escorte pour arriver à la frontière avec plus de sûreté. Un rayon d’espoir entra dans le cœur du malheureux et se refléta sur sa figure abattue.

Il était depuis une heure monté sur sa mule au milieu de la cour, attendant qu’on se mît en marche ; impatienté de ce retard, il en demanda le motif à ceux qui le gardaient. On lui répondit froidement qu’on attendait l’avis de l’arrivée de l’escorte au passage convenu. Au bout d’une nouvelle heure écoulée dans la même situation, un envoyé mystérieux vint parler à Ferrer, et l’on dit au comte de mettre pied à terre parce qu’on allait passer la nuit là. Le comte augura mal de toutes ces lenteurs ; le léger espoir qui avait un instant ranimé son cœur se convertit en une rage amère, et il éclata en lançant les plus violentes injures contre ses gardiens. Ceux-ci, furieux, s’élancèrent sur lui, le poussèrent dans une chambre, et voulurent l’attacher avec des cordes. Le comte avait soixante-sept ans accomplis. Ni cet âge avancé, ni ce qu’il souffrait depuis quelques jours, n’avaient abattu ses forces physiques. Loin d’être épuisées, elles étaient au contraire augmentées à tel point par le désespoir, que Ferrer et six de ses plus robustes complices eurent beaucoup de peine à le soumettre ; enfin il succomba, et on l’attacha des pieds et des mains à un vieux fauteuil.

Il passa dans cette terrible situation toute la nuit du 30 et toute la journée du 31, vomissant toujours des injures contre ses bourreaux, qui se vengèrent amplement en lui crachant à la figure et en exerçant sur lui toutes sortes de violences. Vers les dix heures du soir, après l’arrivée d’un exprès à Casellas, cet horrible cortége se remit en mouvement. On détacha le comte, qui fut replacé sur sa mule, et on