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El-Bep-al-Oli. Dans le moment même on arrêta don Juan Gomez, commandant du 7e bataillon, comme partisan du comte, et l’on déchargea les autres officiers de leur obéissance, toujours au nom de don Carlos. Ainsi eut lieu sans contestation la transition du pouvoir tyrannique du comte d’Espagne à la domination absolue de la junte.

Pour prévenir toute opposition ultérieure, on fit courir le bruit que le comte d’Espagne était sur le point de conclure un accommodement avec la reine quand il avait été arrêté. On avait soin d’indiquer dans ces rumeurs les conditions qu’il stipulait pour lui et ses favoris, tandis qu’il n’avait, disait-on, demandé aucune garantie, ni fait aucune condition en faveur des ecclésiastiques et des loyaux défenseurs de la religion. On ajoutait qu’il était arrivé à la junte un ordre de don Carlos qui destituait le comte et nommait à sa place Ségarra ; que le comte s’était soumis, et qu’après avoir déposé ses pouvoirs au sein de la junte, il s’était mis en route pour la France sous bonne escorte. Les jours suivans, on prétendit avoir surpris sa correspondance avec le marquis de Miraflores et don José Oliana, agent de cet ambassadeur, lesquels traitaient avec lui pour qu’il livrât à discrétion, moyennant une forte somme, tous les fidèles défenseurs de la cause de don Carlos et de la religion en Catalogne.

Cependant le vice-président de la junte, don Jacinto Orteu, et le chanoine Sanpons, retournaient à Berga dans la matinée du 27, après avoir donné leurs dernières instructions au curé Ferrer. Celui-ci, obligeant le comte à remonter sur sa mule, prit avec l’escorte la direction de Call Oden. Après deux heures de marche, le cortége fit halte dans un lieu isolé. Ferrer ordonna au prisonnier de descendre de sa mule et d’ôter son uniforme pour se vêtir en paysan. Celui-ci résista, et déclara formellement qu’il ne consentirait jamais qu’on le dépouillât de ses insignes ; mais les soldats, obéissant à l’ordre de Ferrer, se jetèrent sur lui, le lièrent, lui arrachèrent pièce à pièce tout son uniforme, le revêtirent d’un costume grossier à l’usage des habitans pauvres de ces montagnes, et, l’ayant repoussé sur la mule, ils continuèrent leur marche. Durant cette humiliante transformation, le comte s’écria plusieurs fois : « C’est clair, on veut m’assassiner ! » Mais ses bourreaux lui imposèrent silence, lui assurant qu’on le conduisait en France, bien que telle ne fût pas la direction qu’ils suivaient, car ils marchaient parallèlement à la frontière, vers la Seo d’Urgel.

Ils passèrent la nuit dans une maison de campagne située près du village de Cambrils, et ils y restèrent toute la journée du 28. Le soir ils se transportèrent à Casa-Casellas, maison de campagne située près