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MORT DU COMTE D’ESPAGNE.

comte d’Espagne ? Ceux qui croient qu’il y eut alors trahison racontent ainsi ce qui se serait passé : Arias se serait mis secrètement en rapport, dès son arrivée à Berga, avec Torrebadella et les autres meneurs les plus violens de la junte, et il aurait été décidé qu’on s’adresserait à don Carlos pour lui faire des représentations. Pour ne pas éveiller les soupçons, on aurait évité de charger de cette commission un membre de la junte, et on aurait choisi pour la remplir le chanoine Espar, recteur de l’université carliste établie à Portella, et un des plus violens du parti. Espar aurait passé la frontière, serait venu à Bourges, où il aurait vu don Carlos, et aurait rapporté de cette entrevue l’autorisation verbale de déposer le comte comme traître et transactionniste.

Sa mission remplie, Espar aurait immédiatement donné avis à Cabrera du résultat, et celui-ci aurait envoyé de son quartier-général, à Berga, le colonel don Antonio Jesus de Serradilla, pour presser Arias et les autres de donner suite au complot. De son côté, Espar, craignant de se livrer au comte d’Espagne, serait venu jusqu’à la frontière, mais sans s’éloigner du territoire français, et aurait écrit de là à Torrebadella qu’il eût à mettre la main à l’œuvre. Tout ce qu’on peut dire sur cette version, c’est que les deux faits apparens sur lesquels elle repose, le voyage d’Espar en France et celui de Serradilla à Berga, sont authentiques ; quant aux menées secrètes, on ne peut que les supposer. Ce Serradilla était un absolutiste ardent qui avait dû se sauver de Navarre, où il avait failli être compris dans les sanglantes exécutions d’Estella ; il était l’ami intime d’Arias Tejeiro, et de l’intendant de l’armée de Catalogne, don Gaspard Dias de Labandero, qui jouera un rôle dans ce récit.

Quoi qu’il en soit, la conjuration marchait, et le comte d’Espagne ne paraissait pas s’en apercevoir. Un évènement singulier, arrivé vers cette époque, montra chez lui ou une confiance inexplicable, ou une non moins étrange dissimulation. Le colonel carliste Fontanillas, gouverneur de la forteresse de Hort, vint un jour le trouver à son quartier-général, et lui révéla tout ce qui se tramait contre lui. Le comte l’écouta avec une froide indifférence, et non-seulement il méprisa cet avis, mais il punit celui qui venait le lui donner. Il retira immédiatement au colonel le commandement de la forteresse, et le confina dans un village ouvert et sans défense de la haute montagne en lui supprimant sa paie et ses rations. Quand Fontanillas se vit aussi cruellement traité, exposé à la fois, dans le lieu où il était envoyé, à un coup de main des troupes de la reine et à la vengeance des conjurés dont il