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çonne pas même l’existence. La décision de l’Académie ne soulève qu’une seule question : L’Académie a-t-elle fidèlement exécuté le testament du baron Gobert ? A-t-elle obéi scrupuleusement aux intentions du testateur ? Pour résoudre cette question, il suffit de relire la clause du testament qui concerne l’Académie française : « Je lègue à l’Académie française, dit le baron Gobert, dix mille livres de rente. Je désire que les neuf dixièmes de cette rente soient proposés en prix annuel pour le morceau le plus éloquent d’histoire de France ; l’autre dixième pour celui dont le mérite en approchera le plus. » L’ouvrage soumis par M. Augustin Thierry au jugement de l’Académie est-il vraiment supérieur en éloquence à tous les ouvrages présentés en même temps que le sien ? La réponse n’est pas difficile à trouver, et n’a pas même besoin d’être formulée ; car les journaux qui ont attaqué le plus vivement la décision de l’Académie n’ont pas songé un seul instant à contester le mérite éminent du candidat préféré. Toute leur argumentation porte sur les doctrines politiques de M. Thierry. Or, les doctrines qu’on lui attribue sont loin d’être celles qu’il professe, celles qu’il a professées depuis vingt-trois ans. On peut ne pas partager l’opinion de M. Thierry sur l’avenir politique de la France ; mais il faut une grande ignorance ou une mémoire singulièrement infidèle pour accuser l’historien de la conquête de l’Angleterre d’appartenir à l’école fataliste et de préférer le fait au droit. Pour réfuter cette accusation, il suffit de renvoyer le public et les adversaires de M. Thierry à l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre, aux Lettres sur l’Histoire de France, notamment à celles qui concernent les communes de Laon, de Reims et de Vézelay. Il n’y a pas une seule page de ces deux beaux livres qui ne réponde victorieusement à l’accusation d’immoralité politique portée contre M. Thierry. Quant aux Récits des temps Mérovingiens et aux Considérations sur l’Histoire de France, seuls ouvrages qui soient vraiment en cause, et sur lesquels l’Académie avait à se prononcer, nous ne croyons pas qu’ils méritent davantage le reproche d’immoralité politique. Ni la partie critique, ni la partie narrative de ces deux volumes ne donnent raison au succès, abstraction faite du droit. La partie critique, par la nature même des questions traitées, ne donne aucune prise à cette accusation ; quant à la partie narrative, elle offre l’alliance heureuse, et bien rare aujourd’hui, de la science et de l’art, elle porte la clarté dans une période de notre histoire qui jusqu’à présent n’avait jamais été étudiée sans répugnance et sans fatigue. C’est une suite d’épisodes dont tous les élémens défient l’analyse la plus patiente, la plus sévère, et sont ordonnés, combinés, fécondés l’un par l’autre avec une adresse, une sagacité qu’on ne saurait trop louer. À ces signes, il est facile de reconnaître la véritable éloquence, la seule du moins qui convienne à la dignité de l’histoire. La décision de l’Académie est donc parfaitement équitable, et nous avons la ferme espérance que notre opinion sera partagée par tous les lecteurs impartiaux qui voudront juger pièces en mains et consulter la série entière des œuvres de M. Thierry. Si l’historien de la conquête de l’Angleterre ne dogmatise pas, il y a dans tous ses livres, outre le talent littéraire que personne n’oserait lui contester, une moralité implicite qui n’est pas moins évidente que son talent littéraire. Il groupe les faits de manière à montrer constamment où est le droit ; quel que soit l’événement qu’il raconte, qu’il s’agisse d’une bataille ou d’une négociation, il n’y a pas une de ses paroles qui puisse froisser la conscience la plus scrupuleuse ; il n’a rien à redouter de la définition