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entrechoquent avec une gravité fort amusante. La cavatine de la princesse, au premier acte, procède un peu comme toutes les cavatines italiennes ; cependant, à l’élégance de la cabaletta, à la délicatesse de l’instrumentation, on sent que M. Auber a passé par là. Donizetti ou Pacini ne font point tant de façons : leur motif une fois trouvé, le reste ne les inquiète guère, et la plupart du temps ils s’en remettent au chanteur pour le succès du morceau. M. Auber, lui, déploie toutes sortes d’artifices pour relever sa pensée, et ses cavatines italiennes ont toujours un petit minois français qui vous séduit. Il y a peu de musique dans Zanetta ; en général, M. Auber n’en use sur ce point qu’avec une certaine tempérance, et distribue ses morceaux de loin en loin, et de manière à laisser la pièce aller son train librement. En véritable compositeur d’opéra-comique, il ne va jamais bien avant dans la situation, de peur de l’arrêter, et sa musique serait au désespoir d’empêcher son monde de saisir un trait d’esprit dans le dialogue. M. Auber ne prétend jamais absorber sur lui toute l’attention et tout l’enthousiasme de la salle, comme le fait Meyerbeer, par exemple, et laisse à Mme Damoreau ainsi qu’aux auteurs de la comédie la part qui leur revient des succès et des plaisirs de la soirée ; et lorsque la pièce est agréable, spirituelle et de bon goût, comme cela s’est rencontré dans l’Ambassadrice et le Domino noir, comme cela se rencontre encore dans Zanetta, personne ne songe à se plaindre.

Mme Damoreau chante cette musique à ravir ; elle fredonne, elle gazouille, elle vocalise à cœur joie, comme le rossignol sur la branche. Ce sont des points d’orgue merveilleux, des arabesques à perte de vue, des roulades qui s’égrènent en petites notes de cristal. Pour Mme Damoreau, il n’y a que M. Auber ; lui seul connaît les secrets de cette voix si souple, si flexible, mais si frêle ; lui seul peut toucher sans le briser à ce talent si délicat ; en dehors de l’Ambassadrice, d’Actéon, du Domino noir, de Zanetta, il n’est point de succès pour Mme Damoreau. Une fois seulement, dans le Shérif, la cantatrice de M. Auber voulut chanter pour un autre, et l’on vit quelle mésaventure ce fut. Sa voix semblait étouffée ; on ne l’entendait plus, cette voix d’ordinaire si agile, si vive, si légère dans son essor ; on eût dit qu’elle ne pouvait soulever de terre les notes de plomb de M. Halévy. La ballade que chante Zanetta au second acte serait une inspiration originale, si les couplets d’Actéon et la chanson de l’Aragonnaise dans le Domino noir n’existaient pas. Malheureusement tout, jusqu’aux traits de vocalisation, rappelle ces deux fantaisies, qui sont fort agréables, mais qu’il était au moins inutile de fondre en un seul morceau. L’enthousiasme singulier dont Mlle Rossi a été l’objet à la première représentation de Zanetta nous a semblé assez peu légitime. La voix de Mlle Rossi, étendue et vibrante, a le défaut de chevroter souvent et de manquer presque toujours de justesse dans l’intonation. Mlle Rossi devrait, avant tout, égaliser les registres de son organe, mettre en harmonie ses notes du medium avec les cordes aiguës ; ce serait là un travail bien simple, et qui lui vaudrait mieux que ces roulades ambitieuses où elle semble se fourvoyer à plaisir, et que ces points d’orgue à mi-voix, ces demi-