Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/885

Cette page a été validée par deux contributeurs.
881
REVUE. — CHRONIQUE.

lait déjà au théâtre de la Bourse, semble croître encore à Favart. Cependant, parce qu’on chante sur la scène où le vaillant ténor enlevait, à l’étonnement de tous, le célèbre trille de la cavatine de Niobé, il ne s’ensuit pas que l’on doive à tout propos se jeter dans des effets de voix que rien ne justifie, et vouloir piper à la volée des mi-bémols suraigus, au risque de faire comme ce corbeau de la fable qui fond sur la proie de l’aigle et s’y empêtre.

On se demande si la partition nouvelle de M. Auber vaut l’Ambassadrice et le Domino noir, grave question que nous n’essaierons pas de résoudre, attendu que c’est là tout simplement une affaire de goût. Les uns aiment mieux l’Ambassadrice, d’autres préfèrent le Domino noir ; nous en connaissons qui se déclarent ouvertement pour Zanetta, et franchement tous ont raison. Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il n’y a rien dans le Domino de plus ingénieux, de plus délicat, de plus heureusement trouvé que le chœur des jeunes gens à table, les couplets de la jardinière dans Zanetta ; l’air de la princesse au troisième acte et le duo qui suit peuvent se comparer aux meilleures inspirations de l’Ambassadrice. L’ouverture surtout est un morceau exquis : que d’enjouement et de coquetterie dans les motifs, de soins minutieux dans les moindres détails de l’instrumentation ! La phrase de l’allegro est d’une originalité irrésistible, et la salle entière frémit d’aise chaque fois qu’elle entend revenir cet arpège de flûte sur l’accord de la tonique. Quelle que soit l’opinion qu’on ait à l’égard de M. Auber, on ne peut s’empêcher d’admirer cette fécondité singulière dont il donne à tout instant de nouvelles preuves. Le nombre des ouvertures remarquables que M. Auber a produites est tel qu’il serait difficile de les compter, et cependant sa verve, loin de s’épuiser, semble renaître d’elle-même. L’ouverture de Zanetta ne le cède en rien à celles de la Muette, de Gustave, de l’Ambassadrice. — Vous direz qu’il n’y a rien là de bien sublime, et que l’expression des grandes choses de la nature ou du cœur humain n’a rien à voir dans cette affaire. — D’accord ; mais tout cela est d’une si charmante combinaison, d’une mélodie si claire, d’un travail si parfait, qu’on oublie aisément l’enthousiasme échevelé pour s’en amuser comme d’un bijou merveilleux. Le secret du succès de M. Auber est dans son esprit et son talent, deux facultés qui, au besoin, tiennent lieu du génie, et qui ont sur lui l’avantage de s’épuiser moins vite. M. Auber se complaît dans les choses enjouées et faciles ; son inspiration aime les petits airs, les motifs, les traits d’esprit de la musique. Une fois seulement il est sorti de son cercle, ç’a été pour écrire la Muette ; puis, soit spéculation habile, soit goût naturel, il y est rentré pour n’en plus sortir, et tout porte à croire qu’il s’y maintiendra long-temps encore. L’ouverture est sans contredit le meilleur morceau de l’opéra ; l’introduction a de la grace, et, chose assez curieuse pour un chœur de gens attablés, une mélancolie qui lui sied à ravir. Le ton raide et empesé de cette musique, ces modulations qui procèdent carrément, et dans le goût du XVIIIe siècle, tout cela convient à merveille au comme il faut de ce gala de gens de cour. La musique s’arrête ; puis, après quelques instans de dialogue, elle reprend pour accompagner le cliquetis des verres que les convives poudrés