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faut ajouter, et l’Espagne se plaît en effet à le reconnaître, que ce grand résultat est dû aussi à l’habile activité que le cabinet du 1er mars a déployée dans l’intérêt de notre allié, le gouvernement constitutionnel de l’Espagne. De nouvelles trames, de redoutables intrigues avaient été ourdies dans le but de rallumer la guerre civile en Navarre et dans les provinces basques. C’était en France, dans nos provinces du midi, dans les nombreux dépôts d’Espagnols réfugiés qu’on cherchait des chefs, des soldats, des secours de toute nature. Cette vaste intrigue a été complètement déjouée par notre administration. Elle fit interner les Espagnols compromis, arrêter les plus audacieux, saisir les correspondances, et brisa ainsi tous les fils d’une conspiration qui avait pris le sol français pour point d’appui et préparait une sanglante irruption en Espagne.

Nous félicitons M. de Rémusat d’avoir su, dès son entrée au ministère, apporter dans cette affaire délicate la sagacité, la fermeté et le coup d’œil qui ne sont chez les hommes ordinaires que le résultat d’une longue expérience. Il a épargné de grands malheurs à l’Espagne, qui ne pourrait pas aujourd’hui se flatter d’éteindre la guerre civile dans Morella, si une conflagration générale avait de nouveau porté le désordre dans les cinq provinces.

Mais un fait étrange, et qui donne à penser, se passe dans ce moment à Madrid. La reine a pris tout à coup la résolution de conduire elle-même sa fille aux eaux de Caldas, près de Barcelonne, sous le prétexte de je ne sais quelle indisposition. Que signifie ce voyage improvisé, ce voyage aux frontières et pour ainsi dire au quartier-général d’Espartero, ce voyage annoncé, dit-on, au ministère espagnol comme un ordre dont il n’avait qu’à seconder l’exécution ? Deux ministres seulement sont désignés, dit-on, pour suivre leurs majestés, et ces ministres sont, le choix est curieux, celui de la guerre et celui de la marine. La rumeur est grande dans les salons de Madrid.

Tout homme ayant la prétention de passer pour un homme politique a son explication toute prête. Les plus fins s’imaginent qu’il n’y a là qu’un caprice de femme. C’est difficile à croire. La reine régente est trop éclairée et trop habile pour ne pas avoir calculé les conséquences que peut avoir son brusque départ de la capitale, où elle ne laisserait qu’un ministère faible et mutilé, des caisses vides, des partis assez violens, des cortès découragées et qui paraissent prêtes à se briser et à se dissoudre d’elles-mêmes. Il faut donc que ce voyage ait un but qui lui paraisse mériter d’être atteint au risque de tout ce qui pourra s’ensuivre à Madrid. Quel est ce but ? Le temps nous le dira, si réellement il y a là autre chose que du caprice et de l’imprudence. En attendant, il importe que notre gouvernement ne perde pas de vue l’Espagne. Sa tranquillité et la conservation de son gouvernement constitutionnel intéressent la France. Le cabinet du 1er mars en est convaincu.

On répand le bruit de la mort du roi de Prusse. Cet évènement qui aurait pu, il y a quelques années, inspirer de sérieuses inquiétudes pour la paix de l’Europe, ne peut guère en inspirer aujourd’hui. L’héritier du trône a compris que le chef d’une nation doit être avant tout un homme politique, et la Prusse