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La chambre des pairs vient de rejeter le projet de loi sur le remboursement de la rente. Il n’y a rien là d’étonnant ; l’opinion de la chambre était connue. Il y a eu cependant dans ce débat des faits dignes d’attention et d’utiles enseignemens. Rien n’était plus facile, plus naturel, que de conclure au rejet de la loi, en montrant, d’un côté, que le mode proposé n’était pas acceptable, et en faisant remarquer, de l’autre, qu’il ne convient guère à la chambre des pairs de prendre l’initiative en matière de finances. On aurait pu ajouter que les répugnances bien connues de la chambre pour une mesure qui, dans toutes les hypothèses, aura quelque chose de dur, ne lui permettaient pas de prendre la direction de cette affaire ; que la chambre, par respect pour elle-même, doit se borner à l’examen des mesures qu’on lui propose, et rejeter purement et simplement toutes celles qui ne lui paraissent pas concilier l’exercice rigoureux du droit avec les égards et les ménagemens que commandent la politique et l’équité. La chambre aurait ainsi sauvé toutes choses, et rejeté la loi sans donner lieu à aucune critique tant soit peu fondée. D’un commun aveu, il était reconnu que la loi proposée n’était pas acceptable. Rien de plus simple, rien de plus légitime que de la rejeter.

La majorité de la commission ne s’est pas contentée de repousser l’ennemi, elle a prétendu l’étouffer. Vains efforts ! efforts, disons-le, pénibles à voir, car il est pénible de voir des hommes graves, pleins de lumières, dignes de tous nos respects, attacher, par une malheureuse préoccupation, leur nom à d’étranges doctrines. Dans le système de ceux qui contestent à l’état le droit de rembourser au pair, se trouvaient au fond ces trois propositions. Il y a des rentes constituées sans capital, c’est-à-dire des produits sans producteur, des effets sans cause. — L’état amortit, c’est-à-dire fait monter la rente à coups de piston pour atteindre le plus tôt possible le point où il ne pourra plus amortir, à moins de dilapider au profit de quelques personnes la fortune publique. Il amortit donc, non pour payer ses dettes, mais pour se mettre dans l’impossibilité de les payer. — Enfin, il y a des instrumens producteurs (le capital est un instrument de production) dont le loyer peut être invariable et éternel.

Ce sont là en droit, en économie politique et en administration, de nouvelles doctrines. Aussi empressons-nous d’ajouter qu’elles n’ont pas obtenu dans la commission l’assentiment de deux hommes éminens, M. le comte Molé et M. le vicomte de Caux. M. le comte Molé a eu soin de le faire remarquer par un mot dans le cours de la discussion. Ces doctrines ont été habilement réfutées le premier jour par M. le ministre des finances et par M. le comte d’Argout, qui, malgré sa mauvaise santé, s’est montré orateur courageux, spirituel, instruit, et a constamment obtenu de la chambre une attention très flatteuse.

Hier la question a été reprise, et le droit de l’état vigoureusement défendu par M. le président du conseil. On peut le dire sans flatterie, car la chambre entière (il était facile de le voir) lui rendait cette justice, M. Thiers a eu un grand succès de tribune. Le sujet était épineux, la situation délicate pour un ministre, pour un ministre étranger à la chambre des pairs, membre de la