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me déclarent qu’ils ne recevront plus aucun paiement effectué dans cette belle monnaie. Nous habillera-t-on avec du papier maintenant ? Nous chaussera-t-on avec, ou nous en fera-t-on manger ? Qu’est-ce qu’une valeur fictive qu’on nous force à recevoir, et qu’on ne nous permet pas d’échanger ? Si ce papier est meilleur que l’argent, qu’on nous le reprenne quand nous n’en voulons plus, et qu’on nous rende ce vil métal dont nous voulons bien nous contenter. Que diable ! ceci est une plaisanterie de fort mauvais goût, monsieur Bourset ! jamais on n’a imaginé de dépouiller les gens pour les empêcher de se ruiner.

BOURSET.

Vous m’affligez, monsieur le duc, vrai ! vous me faites de la peine.

LE DUC.

Pardieu ! j’en suis fort marri. Mais votre système m’en fait bien davantage, à moi.

BOURSET.

Est-il possible qu’un homme de votre sens et de votre rang écoute et répète les propos de la populace ignorante et couarde !

LE DUC.

Il s’agit bien de propos ! Le papier-monnaie tombe-t-il en discrédit, oui ou non ? Le système de Law a-t-il perdu la confiance publique ? dites. Les actions sur toutes vos belles entreprises, après avoir follement décuplé, sont-elles déjà retombées au-dessous de leur valeur première ? Osez le nier ! Et où s’arrêtera la baisse ?

BOURSET.

Si la confiance publique est ébranlée, n’est-ce pas la faute des ambitieux et des intrigans qui excitent, à force de mensonges, de puériles frayeurs ? N’est-ce pas celle des gens timides qui les écoutent ? Ah ! j’en étais bien sûr, que vous arriveriez à me faire des reproches. Je vous le disais bien, l’an dernier, quand vous voulûtes absolument prendre ces actions ! Vous êtes tous les mêmes. Au moment de gagner la partie, on la perd, parce que chacun, frappé de panique, retire son enjeu, et paralyse l’homme habile qui tient les cartes !

UN DOMESTIQUE.

M. le duc de La F… demande à parler à monsieur le comte.

BOURSET.

Faites-le entrer dans mon cabinet, mais pas par ici ; par le grand salon. Je suis à ses ordres dans un instant. (Le domestique sort.)

LE DUC.

Pardieu ! il est inquiet lui-même, votre duc de La F…, qui s’entend si bien aux affaires ! Tout le monde l’est. Paris est consterné, et le peuple s’agite.

BOURSET.

Le peuple ! le peuple ! Si on écoutait le peuple, personne ne ferait fortune, et pour empêcher l’état de s’acquitter envers les hautes classes, il pillerait à son profit le trésor public ! Belle autorité, ma foi, que le peuple !