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REVUE. — CHRONIQUE.

la politique, mais qui au fond aime les affaires, n’a pas résisté au charme et se rallie tous les jours au cabinet qui l’aide puissamment à faire les affaires du pays. Les fractions gouvernementales de la chambre n’ont point transigé avec le ministère comme elles le pouvaient peut-être ; leurs chefs ont montré ou peu d’habileté ou trop de raideur ; quoi qu’il en soit, ce que nous avions prévu s’accomplit plus promptement encore que nous ne le supposions. Par un mouvement tout naturel, les hommes gouvernementaux de toutes les nuances se rapprochent du gouvernement. Placé sur le navire de l’état, le ministère appelle fort habilement à lui de bâbord et de tribord, et on répond individuellement à l’appel : chacun approche sa petite barque et suit le gros navire. C’est la force des choses. La gauche ralliée ne pourrait, sans se couvrir de ridicule, abandonner le cabinet qu’elle a élevé sur le pavois, et les conservateurs modérés pourraient-ils en conscience exposer l’état aux dangers de je ne sais quelle crise, pour renverser un ministère qui fait parfaitement bien les affaires du pays, et qui a repoussé de la manière la plus ferme et la plus explicite toute pensée de réforme électorale ?

La majorité est donc, ce nous semble, reconstituée, à une condition cependant, c’est que le ministère ne fera pas de fautes. C’est une majorité encore fragile comme toute combinaison neuve, délicate, cimentée d’hier ; il importe de la manier avec toute sorte de ménagemens et de soins. M. Odilon Barrot va se trouver au centre gauche, M. Garnier-Pagès remplacera M. Barrot dans la gauche, en attendant le jour où, lui aussi, se rapprochera davantage de la région des affaires. M. Garnier-Pagès a montré, dans cette session, tant de capacité, un talent si vrai pour les choses pratiques, pour les questions de gouvernement, qu’on ne s’aventure guère en prédisant que cet esprit distingué sera tôt ou tard fatigué de questions creuses et du rôle d’utopiste.

Mais ces mouvemens, quelque naturels et légitimes qu’ils soient, ne laissent pas que de produire, au premier abord, un peu d’étonnement et de confusion. C’est un navire qui reçoit en route de nouveaux passagers. Il y règne au premier moment beaucoup de contrainte et une sorte de curiosité hostile. Tout s’arrange, tout s’éclaircit bientôt, et on est étonné des sentimens peu bienveillans, inhospitaliers qu’on avait éprouvés d’abord.

Nous le répétons, le service éminent que le ministère a rendu au pays, et que seul, grace à ses précédens, il pouvait lui rendre, c’est d’avoir rallié au gouvernement une partie considérable de la gauche ; c’est d’avoir reconstitué une majorité par la réunion, et nous espérons pouvoir bientôt dire par la fusion d’élémens qui avaient dû jusqu’alors se combattre, et qui, dans l’état actuel des choses, peuvent tous conspirer à l’avancement des affaires publiques. Nous ne savons pas si c’est à son profit, pour long-temps du moins, que le cabinet a accompli ce grand travail. Qui le sait ? une faute, un accident, peut renverser un ministère. Mais pour peu que son existence se prolonge, sa chute, nous le disons à son honneur, ne détruirait pas son œuvre. Il aura toujours rendu un service éminent à la monarchie et au gouvernement du pays.