Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/872

Cette page a été validée par deux contributeurs.
868
REVUE DES DEUX MONDES.

victoires pourrait seule élever ? En procédant par un coup de main, s’estimerait-on assez puissant pour résister, ne fût-ce qu’un jour, aux forces terribles auxquelles on aurait fait appel, et ne voit-on pas que si l’empereur a détrôné l’anarchie, ce serait l’anarchie elle-même qu’on inaugurerait en son nom ? Napoléon n’a pas laissé plus d’héritier de son droit que de son œuvre ; l’un dort pour jamais avec lui dans sa tombe, l’autre se continue par le labeur de toutes les générations ; et pour que les peuples ne s’y trompassent pas, la Providence a moissonné dans sa fleur ce jeune prince dont le berceau s’appuyait au Capitole, et pour lequel il n’y avait plus de place marquée sur la terre. Que ceux qui portent ce grand nom, s’inclinant noblement sous cet arrêt du sort, ne le profanent pas par la turbulence d’une ambition vulgaire ; qu’ils sachent que ce n’est pas pour fonder une lignée dans sa personne, que Napoléon est venu porter aux dynasties royales les plus rudes coups qui les aient jamais frappées.

Aucune appréhension sérieuse, hors celle de tentatives insensées, ne pouvait arrêter le gouvernement dans l’accomplissement d’un tel acte. La France ne pouvait pas abandonner pour toujours à l’étranger la dépouille de l’homme dont la main l’avait fait sortir de l’abîme pour la placer au premier rang entre toutes les nations, et la ville d’où la pensée s’irradie sur le monde devait servir de sépulture au puissant mortel qui l’avait si profondément soulevé. Puisse ce mausolée n’être muet pour personne. Puisse-t-il apporter quelques enseignemens à cette société chancelante dans ses voies, incertaine de sa mission et de ses destinées !

La France doit vivre par une idée ; il lui faut un rôle en Europe, une œuvre à parfaire dans le drame infini dont chaque époque déroule une page. Espérer la parquer dans le soin de ses intérêts et de son bien-être, et parce qu’en une certaine région les ames se sont flétries au contact de l’égoïsme, croire qu’on aurait raison du génie national, c’est à la fois impertinence et folie. On amortira certaines résistances, on corrompra certains hommes ; mais on n’ira pas, Dieu merci ! jusqu’au cœur de la nation, et toujours il battra pour les grandes choses. Que la France apprenne donc, en méditant sur cette tombe, le rôle nouveau que lui font les temps ; qu’après avoir entr’ouvert par le fer le sol européen, où elle ensemença ses idées ; elle sache les faire mûrir par sa modération et par sa prudence ; qu’elle se porte la tutrice de tous les faibles, la protectrice de toutes les libertés menacées et de toutes les nationalités vraiment vivantes ; qu’elle accepte sans marchander en Afrique sa part difficile dans l’œuvre de la civilisation des peuples ; que vouée tout entière à une activité désintéressée,