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celles-là ses créatures, de toutes le marche-pied de sa suprême puissance. Bonaparte, le front ceint de la double couronne de Charlemagne, partageant son lit avec une archiduchesse, était plus redoutable que le jeune général républicain aux races royales et à l’ordre européen dont celles-ci formaient la base ; et lorsqu’il cédait aux entraînemens de sa propre vanité, en s’entourant des pompes aristocratiques et des prestiges du rang suprême, il portait un coup mortel aux puissances même qu’il aspirait si vivement à réhabiliter dans sa personne.

Il faut bien le reconnaître, l’empire a détruit dans toute l’Europe le culte de l’hérédité royale ; et si celle-ci s’y maintient encore comme institution politique, elle y a pour jamais disparu comme croyance. Aussi ce ne fut pas le spectacle le moins étrange de ce siècle, que de voir, à la chute de l’empire, ces rois créés pour la plupart par son bon plaisir, ces souverains improvisés à Vienne pour des peuples qui ne les connaissaient souvent que par des antipathies séculaires, s’évertuer à formuler un droit public en harmonie avec tant de contradictions et de violences, pour aboutir enfin, faute d’une idée, à ce mot de légitimité, qui, dans son application usuelle, dut sembler alors une trop amère ironie.

Napoléon s’est merveilleusement acquitté de la seule mission qu’il eût reçue du ciel, celle de préparer le terrain pour un lointain avenir. Les ruines qu’il a faites jonchent le sol de toutes parts, et l’Europe, encore fatiguée de sa course haletante, se loge provisoirement dans ces débris qu’elle soutient par des étais chaque fois qu’ils craquent au-dessus de sa tête.

D’autres hommes ont laissé sur la terre des traces plus permanentes de leur passage, des résultats plus durables de leurs combinaisons politiques. Charles-Quint constitua en Europe la prépondérance de sa maison et de l’empire ; Richelieu transféra cette prépondérance à sa patrie ; Cromwell prépara la suprématie maritime de l’Angleterre ; Pierre de Russie et Frédéric de Prusse jetèrent l’un et l’autre un état nouveau dans la balance du monde. Tout cela se fit au prix d’une persévérance inouïe, d’une unité d’efforts et de pensées qu’on chercherait vainement, n’en déplaise à des apologistes abusés, dans cette histoire de l’empire où Léoben, Lunévile, Tilsitt, Bayonne et Schœnbrunn, la constitution de l’an VIII et l’abolition du tribunat, le Code civil et les majorats, marquent assurément et des systèmes opposés et des phases peu concordantes. Et cependant que sont les noms de ces hommes puissans par la politique et par la guerre, auprès de celui de Napoléon, quoique ceux-là aient fondé des empires et que celui-ci