Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/842

Cette page a été validée par deux contributeurs.
838
REVUE DES DEUX MONDES.

long-temps attendre : premier délai qui permettait de mettre quelque semblant d’ordre dans le désordre. Le démonstrateur s’arrêtait ensuite longuement dans le vestibule, décrivant chaque statue, chaque buste, chaque inscription, comme le custode d’un musée. Celui-ci c’était Érasme, celui-là Esculape, cet autre Socrate. Impatienté, vous désiriez passer plus avant, mais déjà chacun était à son poste. Les employés parlaient à l’envi philantropie et charité chrétienne ; à les en croire, les seuls remèdes employés étaient, à quelques rares exceptions près, des remèdes moraux tels que la danse, la musique, l’occupation, les distractions, et rarement la répression. Puis des aliénés des deux sexes, portant un uniforme bleu galonné d’argent, défilaient devant vous ; des fous mélomanes vous donnaient un concert, et des amateurs de danse un ballet. D’autres se baignaient, d’autres jouaient au billard ou à la paume. Vous passiez dans la bibliothèque, il y avait des fous lecteurs ; la chapelle était remplie de fous en prière : l’enfer s’était transformé en paradis ; mais on assure que beaucoup de ces fous n’étaient là que pour la montre et n’avaient jamais perdu leur bon sens.

La petite pièce du Fou par force n’attaque pas de front de si monstrueux abus : il eût fallu prendre les couleurs du drame, sa morale pénétrante et ses poignantes péripéties ; mais la critique, pour être indirecte et présentée sous forme plaisante, n’en a pas moins de portée. Il signore Pulcinella, directeur d’une maison de fous, arrive en colère ; ses pensionnaires ont trop bon appétit. — C’est bon, c’est bon, s’écrie-t-il, dorénavant nous donnerons à ces messieurs des pommes de terre et des œufs durs à leurs repas ; ces maudits fous mangent comme des ogres : aujourd’hui, ils n’étaient que huit à table, et ils ont dévoré douze rotolos (vingt livres) de macaroni sans compter les morceaux délicats ; mais à l’avenir… Le monologue de Pulcinella est interrompu par l’arrivée d’un noble personnage vêtu de noir qui le salue jusqu’à terre.

— Que demandez-vous ? lui dit le directeur.

— L’illustre docteur Pulcinella, cet homme unique pour le traitement des fous.

— C’est moi, monsieur, et vous êtes dans ma maison : comme vous voyez, elle est vaste, bien aérée ; peu de princes en ont de semblables ; ici chaque pensionnaire a sa chambre à lui, si toutefois il est riche et noble. Mais à qui ai-je l’honneur de parler ? sans doute à quelque comte ou marquis ?

— Vous avez deviné, au marquis Scaramouche.

— Beau nom, beau nom, en vérité ; mais, monsieur le marquis,