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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

multitude de principautés et de châteaux en Espagne. En subissant cette nouvelle métamorphose, il redevint poltron comme par le passé, ne se battit plus qu’à coups de latte et avec la langue, et prit le nom de Scaramouche.

Scaramouche, comme le capitaine et le matamore, a toujours un grand faible pour les femmes, et, si on l’écoute, ses aventures sont aussi nombreuses que celles de don Juan. Il faut l’entendre, dans ses momens d’abandon, raconter ses galans exploits à son ami Pulcinella, qui l’interrompt par de petits ricanemens goguenards, et qui coupe son récit de notes admiratives, qui prouvent clairement qu’il ne croit pas un mot de toutes ces belles choses. Pulcinella est en effet un rustaud, un balourd, un âne, comme l’appelle son ami Scaramouche ; mais Pulcinella a une vieille expérience des hommes et des choses, et, depuis l’an 2000 avant Jésus-Christ, époque à laquelle on fait remonter son origine, il a vu passer trop d’évènemens et s’est trouvé en rapport avec trop de personnages importans, pour être jamais dupe. Pulcinella vivait bien antérieurement à la fondation de Rome, c’est chose prouvée. Il y a plus : on le prétend contemporain des Pharaons, et Champollion a retrouvé sa grotesque physionomie dans quelques-unes des peintures des sépulcres égyptiens. Polichinelle, lorsqu’il débuta joyeusement dans le monde, n’habitait point Naples, qui n’existait pas, mais la cité d’Atella, que les Osques avaient bâtie à mi-chemin de Capoue à la mer ; Maccus était son nom, et, si le Romain Meo Patacca prétend descendre de ce grand personnage, c’est pure vanité de manant. Depuis ces temps reculés, le physique de Polichinelle n’a pas changé, son costume seul a subi quelques modifications. Le Vésuve était encore au niveau de la plaine, que la double bosse de Pulcinella se dressait majestueusement sur son abdomen et entre ses deux épaules ; son nez, qui ressemble au bec disproportionné d’un jeune poulet, et auquel il doit son nom plus moderne[1], flaira la fumée des cuisines de Baïa et les parfums des roses de Pœstum ; l’empreinte de ses sabots, car dès-lors il avait des sabots, fut marquée sur le sol de la Campanie bien avant celle de la sandale de Platon ou de la pantoufle de bronze d’Empédocle[2].

  1. Pullicinella, de pullus gallinaceus ou de pulleiaceus.
  2. Voir le bronze antique trouvé à Rome en 1727, et conservé dans le museum du marquis Capponi. Ce bronze a été rapporté par Ficoroni. Voir aussi le petit buste rapporté par Caylus, dans ses Antiquités, tom. III, pag. 75.