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de détails. La différence est dans l’appareil extérieur, le fond demeure dans sa primitive obscurité ; mais la richesse des métamorphoses donne à croire au plus grand nombre qu’on a pénétré plus avant quand on n’a fait que changer les mots et déplacer les termes.

Ainsi, dans le jansénisme, nous retrouvons les problèmes que la sagesse païenne a si long-temps tourmentés. La question de la prédestination chrétienne ne fait que déplacer la fatalité antique ; elle la mène plus loin ; elle la porte jusqu’aux cieux ; mais en l’introduisant dans l’autre vie, elle la pose sans la résoudre. Elle la rend non plus claire, mais plus grave, puisqu’elle la complique de l’éternité.

Le destin pour les écoles philosophiques de l’antiquité et pour quelques poètes supérieurs n’était pas un hasard aveugle, mais la volonté de Dieu, mais le décret de son intelligence. C’était la réunion d’une nécessité inévitable et d’une sagesse souveraine. Et sur cette sagesse, Plutarque ne tient pas un autre langage que saint Paul ; il dit qu’elle échappe au raisonnement humain. C’est la même affirmation aussi absolue, aussi inflexible.

Personne ne doit s’enquérir de ce que Dieu veut ; lui seul a le droit de faire de pareilles questions, ainsi parle le catéchisme de la foi musulmane[1]. N’est-ce pas la même pensée qu’exprime l’apôtre dans cette apostrophe : Qui es-tu, homme, pour objecter quelque chose à Dieu ? Le livre musulman qui présente, rédigée en maximes, la poésie du Coran, ajoute : Il faut donc croire que le bien et le mal ont lieu par la prédestination de Dieu, par sa volonté et par son opération. Ici la négation de la liberté humaine semble s’égarer jusqu’à l’impiété.

Le christianisme de saint Augustin, de Luther, de Calvin et de Jansénius, dit aussi que le sort de l’homme dépend de Dieu, mais il le dit surtout eu égard à son salut. Le destin des anciens et la fatalité du Coran s’appesantissent surtout sur l’existence terrestre. Le christianisme au contraire ne se préoccupe que de l’autre vie, si bien que les prospérités du monde lui paraissent un écueil, un détriment ; l’essentiel est le bonheur au-delà de cette terre, et il est dispensé comme un don par la volonté divine. Or, maintenant, appliquez à la félicité céleste tous les argumens des écoles antiques sur la destinée de l’homme sur la terre, et vous avez le jansénisme.

Il est des régions dans la pensée humaine où les progrès sont difficiles. La théologie et la métaphysique posent des affirmations dont

  1. Exposition de la foi musulmane, traduite du turc par M. Garcin de Tassy.