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PORT-ROYAL.

sous des apparences particulières, dans une époque circonscrite, dans un cadre spécial, les mêmes pensées et les mêmes questions qui, dans d’autres temps, avec des proportions différentes, sous d’autres formes, ont occupé l’esprit de l’homme et frappé son imagination.

Quand on se donne le spectacle des systèmes religieux et philosophiques, un premier coup d’œil vous fait saisir les différences ; mais la persévérance de l’attention et la sûreté du regard vous livrent des ressemblances qui semblent tracer autour des opinions humaines comme un cercle fatal. Leibnitz, dans un morceau de jurisprudence[1] où l’on ne pouvait guère s’attendre à rencontrer une pensée métaphysique aussi profonde, trouve les mêmes conclusions dans un certain mysticisme chrétien sur lequel on disputait beaucoup de son temps, et dans le panthéisme d’Averroës, de ses disciples et de quelques philosophes de l’antiquité. Des deux côtés, on lui semble aboutir à la mortalité des ames, puisque des deux côtés on finit par les perdre dans un océan divin dont auparavant elles s’étaient séparées comme des gouttes. Leibnitz ajoute avec beaucoup de finesse que les mystiques ne savaient pas probablement eux-mêmes tout ce qu’il y avait au fond de la doctrine qu’ils professaient. Telle est assez souvent la fortune des opinions humaines ; il leur arrive d’être propagées et défendues par des gens qui ne les possèdent pas à fond au moment où ils s’échauffent le plus pour elles. Ces ignorances et ces méprises sont la source des dissensions les plus vives, et l’on pourrait retrancher la moitié de la polémique humaine, si l’on ne discutait sciemment que sur ce qui est fondamental et incompatible.

Allons au fond du temple et de l’école, interrogeons le prêtre et le philosophe, et qu’ils nous répondent avec vérité : que trouvons-nous dans les luttes de la religion et de la science, et dans les guerres civiles que se livrent entre eux tant les soutiens du dogme que les sectateurs des idées ? Un nombre assez restreint d’affirmations contradictoires qui d’époque en époque se reproduisent avec des variantes

  1. C’est dans la dissertation qui précède la seconde partie du Codex diplomaticus que nous trouvons ce passage : « Verendum est ne illa quorumdam male mysticorum abnegatio proprii, et quam fingunt, actionum cogitationumque suspensio, qua maxime Deo scilicet uniamur, desinat demum in doctrinam mortalitatis animæ ; qualem docebant Averroistæ et alii antiqui etiam philosophi, quibus videbatur post hominis mortem mentes non ultra subsistere nisi in oceano divinitatis, unde gutta olim prodiissent. Cujus doctrinæ semina in Valentino Weigelio, et Angelo quodam Silesio, et Molinosio (fortasse non satis ipsis agnita autoribus) animadvertere mihi visus sum. » (G. Leibnitii opera omnia, edit. Dutens., tom. IV, pag. 313.)